Malgré la célébrité du livre original et sa flopée d’adaptations au cinéma, je n’ai jamais eu l’occasion / l’envie d’aller me confronter à ces « Quatre filles du Docteur March ». Et il fallait bien un casting cinq étoiles comme celui-là pour me décider à franchir le pas.
Alors voilà. Je me suis risqué pour cette version de Greta Gerwig et qu’en ai-je tiré ?
Eh bien pour commencer : beaucoup de frustration.
Mise en scène des plus académiques, écriture très verbeuse, musique mielleuse et omniprésente… A peine passé le premier quart d’heure que je me demandais déjà l’intérêt d’un tel choix formel. Parce que bon, ce n’était pas comme si des adaptations de ce roman, il n’y en avait pas déjà eu une demi-douzaine avant celle-là ! Et j’ose imaginer que sur cette petite flopée, il y a forcément déjà au moins une qui a fait ce pari de l’académisme et de l’absence totale de prise de risque. Je me trompe ?
Mais bon… Comme dit plus avant, n’ayant jamais été confronté à une quelconque version de cette histoire-là, il me restait encore la possibilité d’être surpris par le déroulement de l’intrigue originale…
Sauf que – deuxième souci – ce film se révèle vite aussi incroyablement confus.
Parce que – voyez-vous – au bout d’environ dix minutes, le film se risque à un grand flash-back de sept ans en arrière. Et pour signifier ce flash-back, Greta gerwig fait le choix – classique – de jouer sur deux photographies différentes.
Sauf que – problème – ce changement d’époque s’accompagne aussi d’un changement de lieu. On passe de la grisaille de New-York aux couleurs pimpantes de la belle maison de campagne. Si bien que, personnellement, je n’avais pas saisi la vraie nature de ce changement de photo et il m’a fallu un certain temps avant de comprendre que le récit aller opérer des enchâssements réguliers entre ces deux temporalités.
A cela, vous allez me répondre : « c’est de ta faute, crapaud ! Tu n’avais qu’à être plus attentif ! » Et peut-être avez-vous raison. Il n’empêche que malgré tout – même après avoir saisi cette mécanique narrative là – j’ai quand même régulièrement été paumé.
Parce que, l’air de rien, ce film passe d’une temporalité à l’autre de manière assez aléatoire et souvent incompréhensible. Des fois on se retrouve avec des séquences sans interruption incroyablement longues pendant qu’à d’autres moments on opère la bascule toutes les minutes sans que cela ne s’impose vraiment.
J’ai notamment le souvenir d’une scène où, après une période de récit assez longue qui se déroulait dans le passé, on se retrouve soudainement confronté à un rebasculement vers le présent pour seulement dix petites secondes ! Et tout cela pour voir quoi ? Juste pour voir Jo marcher à travers New-York… Et c’est tout ! Non mais franchement : à quoi ça servi là ?!
De toute façon, plus globalement, il y a un vrai problème d’écriture dans ce film.
Et ce problème, il est dans un premier temps clairement lié à cette manière de gérer ce récit par enchâssement.
Parce que même une fois cette logique de double temporalité pleinement maitrisée, il ne fut pas rare que je retrouve souvent à devoir galérer pour remettre les choses dans l’ordre. La rythmique du récit est tellement aléatoire que les moments de doute ont été fréquents.
Ça aurait pu ne pas me déranger si tout l’enjeu de l’intrigue était justement de nous égarer et d’entretenir un certain mystère, mais la plupart du temps ce n’est clairement pas le cas.
Ici on a affaire à un mélodrame plutôt classique et j’ai trouvé vraiment pénible d’avoir à la fois à supporter d’un côté le classicisme de la forme et du propos, et de l’autre côté devoir supporter en même temps la prise de tête d’un scénario assez compliqué à suivre.
Pourtant, quand j’y repense a posteriori, je me dis qu’il n’y avait vraiment pas de quoi s’emmêler les pinceaux, quand bien même la narration manquerait de limpidité.
Seulement voilà, il reste encore un dernier problème à prendre en considération pour comprendre ce drôle de bordel qu’est ce « Little Women » : c’est que le récit est rushé à toute vitesse.
C’est terrible mais ce film ne respire quasiment jamais.
On sent qu’il y a deux énormes volumes à compiler en deux grosses heures alors et qu’en conséquence il faut s’efforcer de tout poser le plus vite possible.
Et je suis désolé mais pour moi ça ne marche pas.
Ce film ne prend presque jamais le temps de poser quoi que ce soit.
Et comme dans cette intrigue il faut être capable de donner chair à quatre jeunes filles – et cela sur deux temporalités différentes – ainsi qu’à tous ces autres protagonistes qui vont jouer un rôle fondamental dans leur vie, on se retrouve du coup à devoir subir des dialogues qui se bousculent en permanence, essayant de donner sa place à chacun, mais souvent en vain.
Certains personnages sont d’ailleurs clairement sacrifiés (
…comme Beth qui, certes meurt tragiquement, mais qui n’a que rarement eu l’occasion d’être vivante dans ce film, étouffée qu’elle fut par ses trois autres sœurs.
).
A cela s’ajoute en plus toutes ces scènes dont on sent qu’elles ont été tirées du roman original et qu’on a du mal à élaguer malgré leur caractère clairement dispensables. (
Je pense par exemple à toute cette séquence où la mère et les filles March vont donner de la nourriture aux pauvres. En plus d’être lourde, cette scène a des vieux relents de conte moralisateur du XIXe. C’est assez atroce.
)
Tout ça mis bout-à-bout rend l’ensemble particulièrement indigeste.
Et cette situation dure – grosso modo - pendant environ une bonne heure et demie (soit la durée d’un film normal.)
Et pourtant, au final, j’accorde une petite mais gentille moyenne à ce « Little Women ».
Alors pourquoi ?
Eh bah tout simplement parce que, bon-an-mal-an, si on arrive à tenir jusqu’au bout, le monstre prend enfin forme humaine sur son dernier quart.
Là enfin on se retrouve avec quelques scènes davantage posées, qui tirent à la fois pleinement partis des enjeux dramaturgiques de l’intrigue mais surtout qui sait pleinement profiter de son casting de luxe.
Et dans ce grand bal d’acteurs et d’actrices, j’avoue que je me dois de tirer mon chapeau à Florence Puth et Timothée Chalamet, sûrement les deux comédiens dont j’attendais pourtant le moins et qui au final ont été ceux à qui je me suis raccroché pour ne pas sombrer.
Merci à eux car, en arrivant jusqu’au bout de ce film, j’ai enfin pu comprendre ce qui a pu faire la popularité de cette histoire jadis écrite par Louisa May Alcott.
Un très bon point donc.
J’aurais même pu pardonner davantage si le final avait su être brillant.
Et il aurait pu l’être. Franchement.
Le matériau d’origine le permettait. La qualité des actrices et des acteurs aussi.
Seulement voilà, il a toujours fallu qu’aux moments les plus intenses, Greta Gerwig me rappelle à ses insuffisances.
Moi j’ai notamment retenu deux moments où j’ai clairement voulu tuer la bonne Greta.
Le premier c’est quand Jo avoue à sa mère qu’elle en a marre d’être réduite par sa seule condition de femme à ne devoir espérer de la vie que de l’amour et que – elle – elle aspire à tellement plus de choses. A ce moment là le jeu de Saoirse Ronan est juste parfait. Il n’y a rien à rajouter. Et d’ailleurs – chose unique – à ce moment là, on n’a pas de musique… Jusqu’à ce qu’une satanée harpe vienne couiner quelques notes ! Ah mais ! Ah mais mmmmmMMMMMmmm quoi ! Tu pouvais pas te taire un instant non ?! Juste un tout petit instant ?! RaaaaaaaAAAAAAAaaaah !
Et le deuxième moment c’est quand Fredriech vient retrouver Jo chez elle. Là encore, le truc s’emboite plutôt bien. On est dans la romance mignonnette certes, mais on n’en fait pas trop… Jusqu’à ce que ledit Friedrich s’en aille et là… Là on sombre soudainement dans du « Bridget Jones ». Tout le monde y va de son conseil à base de « Vas-y ! Poursuis-le sous la pluie ! », agrémentant le tout de mimiques frénétiques. Même le grand-père Laurie – pourtant encore dévasté par un double-deuil quelques minutes plus tôt – s’y met lui aussi.
Là, encore une fois, j’ai eu une envie de meurtre.
Alors au final, moi j’ai envie de dire : « tout ça pour ça… »
Voilà un roman connu de par le monde et qui en est déjà à sa septième ou huitième adaptation au cinéma. Donc pourquoi vouloir nous resservir encore une fois la soupe, surtout quand c’est pour nous la resservir d’une manière aussi brouillonne que celle-là ?
Eh bah je crois que malheureusement, il ne faut pas aller chercher très loin : on est en pleine ère post-#metoo et tout est bon pour faire des films de femmes par les femmes et pour les femmes et cela quand bien même s’agirait-il de projets plus que dispensables comme celui-ci.
Parce que bon, moi quand je me mate la bande-annonce de la version de 1994 avec – excusez du peu – Winona Ryder, Suzan Sarandon, Kirsten Dunst, Claire Danes, Gabriel Byrne et Christian Bale, j’ai du mal à voir ce que cette version de 2020 a l’air d’offrir de plus que cette version préexistante.
Mais bon… Que voulez-vous. On est aussi à l’air des reboots et des remakes à outrances. Alors que ce « Little Women » devienne un symptôme supplémentaire d’une époque un brin malade, car après tout on n’est plus à un film près.
Au moins pourra-t-on débusquer au milieu de ce drôle de bordel quelques moments touchants.
Et peut-être qu’aujourd’hui, il faut savoir – comme les Oscars – simplement se contenter de ça…
Mais bon… Après, ça ne reste que mon point de vue. Donc si vous n’êtes pas d’accord et que vous voulez qu’on en discute, n’hésitez pas et venez me retrouver sur lhommegrenouille.over-blog.com. Parce que le débat, moi j’aime ça… ;-)