Charlie’s Country est le 14ème film de Rolf de Heer, réalisateur d’origine néerlandaise né à Sumatra et vivant en Australie depuis l’âge de 8 ans. Rolf de Heer a une carrière plutôt éclectique puisqu’il réalisera entre autres un film pour enfant Sur les ailes du tigre, un film de science-fiction Encounter at Raven’s gate, un film musical Dingo ou encore une adaptation d’un roman de Luis Sepulveda Le vieux qui lisait des romans d’amour avant de traiter des aborigènes dans trois de ses films : The Tracker puis 10 canoës, 150 lances et 3 épouses et enfin Charlie’s Country.
C’est lors du tournage de The Tracker qu’il rencontre David Gulpilil, d’abord chasseur et danseur puis acteur aborigène. David Gulpilil sera également le narrateur de 10 canoës, 150 lances et 3 épouses puis co-scénariste et rôle principal de Charlie’s Country qui lui vaut le Prix d’Interprétation Masculine dans la catégorie Un Certain Regard lors du Festival de Cannes 2014 ainsi qu’au Festival du Nouveau Cinéma de Montréal.
Charlie’s Country est donc écrit à 4 mains et, sans être un documentaire, grandement inspiré de la vie et de l’expérience de David Gulpilil. Charlie vit dans une réserve d’aborigènes, régie par des lois strictes sur l’alcool et la drogue, sous la surveillance des policiers australiens, blancs. Le film s’ouvre d’ailleurs par un plan sur le panneau d’interdiction d’alcool à l’entrée de la réserve. Le second est un plan moyen de Charlie, assis en tailleur dans une cahute, vêtu d’une chemise rouge à carreaux sans manche et d’un jean. Il tient dans la main une photo en noir et blanc, qu’il regarde en chantonnant. Puis il met ses chaussures, se lève et commence à arpenter la réserve. Nous suivons son déplacement dans un plan au steadicam, comme il y en aura beaucoup par la suite, puisque Charlie/David porte littéralement ce film et nous guide à travers son environnement, ses actions, son histoire. Charlie est présent dans quasiment tous les plans du films. Tant dans les plans larges qui nous permettent de voir Charlie sillonner l’espace qui l’entoure et de découvrir sa démarche que dans les gros plans saisissant les traits marqués de son visage, il est l’expression d’une vie usante, d’un peuple et authentique qui lutte pour ne pas disparaître, qui tente de survivre à une invasion d’abord meurtrière puis lente et perfide.
Si ce second plan nous permet de découvrir Charlie, le fait qu’il regarde cette photo n’est absolument pas anodin. Cette photo, nous le comprendrons plus tard, c’est sa fierté. Il danse, avec d’autres aborigènes, devant la Reine d’Angleterre lors de l’inauguration de l’Opéra de Sydney. Il citera souvent ce moment tout au long du film, comme preuve de son appartenance au peuple aborigène, qu’il représentait alors devant le pays entier, comme preuve de son respect pour la Reine, comme illustration de tout le paradoxe de l’Australie forte d’une vie et d’une culture ancestrales, incapable de les faire survivre à la colonisation et la modernisation du pays. Et en effet, Charlie’s Country est l’histoire de rapports.
Tout d’abord le rapport entre les aborigènes et les blancs. Le peuple conquérant, qui n’a pas totalement exterminé le peuple aborigène doit maintenant vivre avec. Les blancs en sauvant la race aborigène se sont créés une contrainte puisqu’ils ne peuvent s’intégrer au mode de vie des colonisateurs, étant bien trop éloignés de leur état d’esprit. Ils les isolent donc dans des réserves et les « entretiennent ». Comme nous le voyons dans le film ces réserves sont faussement sauvages et ne ressemblent en rien à l’habitat naturel des aborigènes qui ne peuvent pas vivre comme bon leur semble. Tout ce qui vient de l’homme blanc est destruction et porte atteinte à leurs traditions. Par exemple la nourriture. Nous voyons deux fois Charlie dans la seule épicerie de la réserve, n’achetant que le strict minimum et se nourrissant très peu, considérant la nourriture des blancs comme du poison. Cela se vérifie, ses amis sont atteints de maladies qui n’existaient avant l’arrivée de cette nourriture. Charlie veut chasser pour se nourrir convenablement... La suite sur le site.