Adaptation du classique de H.G. Wells, "La machine à explorer le temps" a, également, su marquer son époque sur grand écran avec des effets spéciaux spectaculaires qui avaient, d’ailleurs, décroché l’Oscar en leur temps. C’est sans doute le point le plus incompréhensible pour le spectateur puisque le principal défaut du film aujourd’hui est incontestablement la qualité de ses effets spéciaux, franchement risibles. C’est tout le problème des films fantastiques des années 60 qui, contrairement aux productions Universal des années 30 (plus sobres et élégantes), se sont montrées très (trop ?) ambitieuses dans leur volonté de grand spectacle, quitte à montrer des choses pas encore très au point. A ce titre, l’attaque atomique dévastant Londres est un grand moment de modélisme en carton-pâte avec, en prime, une lave invraisemblable. Idem pour les décors du futur (les paysages peints, la destruction des puits ou plutôt de la maquette des puits...) et le design des Morlocks, particulièrement artificiel (pour ne pas dire grotesque), avec leur gueule impossible et leurs poils bleus. Quant au "truc" de mise en scène, à savoir l’effet accéléré (cristallisé, notamment, par le mannequin en vitrine dont les tenues évoluent avec les années), il s’avère plus amusant que révolutionnaire (surtout lorsqu’il s’agit de faire pourrir un corps de Morlock). Le film de George Pal suppose donc un effort de tolérance plus important que ses prédécesseurs mais peut compter sur la force du récit de H.G. Wells, qui reste à une merveilleuse idée, surtout dans sa première moitié. Outre les amorces scénaristiques pleines de promesses (le retour du héros en haillons suivi d’un flash-back explicatif, les doutes du trio de mécènes sur le voyage dans le temps, le fonctionnement de la machine, les peurs du meilleur ami raisonnable…), on assiste surtout aux premières étapes du voyage du héros Georges (le méconnu Road Taylor, pourtant impeccable avec son charme à l'ancienne) qui va quitter la fin du 19e siècle pour s’arrêter en pleine guerre (en 1917 et en 1940) et, plus amusant, en 1966 (c’est-à-dire quelques années après la sortie du film). L’image donnée de ce proche futur en dit long sur les craintes de l’époque et sur sa vision de l’avenir (les tenues en aluminium, la peur de la guerre atomique…) et donne une image définitivement kitch au film, aujourd’hui. Cette première moitié permet de mettre en avant les arcs les plus dramatiques du scénario, notamment grâce à la relation entre le héros et son ami Filby (Alan Young, très bien), avec les interrogations autour de la disparition du héros, le délabrement de sa maison en son absence, la mort des proches et la rencontre avec leur descendance, son impuissance à modifier les événements… L’arrivée de ce brave George dans un futur bien plus éloigné fait forcément perdre beaucoup de tension dramatique (tous ces thèmes étant forcément balayés) au profit, néanmoins, de la découverte d’un nouveau monde. Cette découverte est, également, chargée de promesses et commence plutôt bien avec la rencontre des Elois qui paraissent vivre dans un monde parfait mais qui, pourtant, ne réagissent pas lorsqu’une des leurs manque de se noyer. Le mystère de ce paradoxe s’épaissit avec la visite du repaire des Elois, où l’opulence alimentaire semble avoir remplacé la culture (voir l’état de leurs livres). On espère, alors, que le récit va s'aventurer sur le terrain de la critique sociétale. Malheureusement, le film commence alors à se perdre dans des méandres romantico-mièvre avec une succession de scènes d’intimité entre le héros et la belle Eloi, Weena (Yvette Mimieux, terriblement nunuche), et les Elois s’avèrent rapidement insupportables d’apathie. Mais surtout, "La machine à explorer le temps" rate le coche de l’horreur lorsqu’apparaissent les fameux Morlocks. Plus que leur design, c’est leur attitude qui les dessert puisqu’il est difficile de comprendre comment des telles monstres à la limite de la débilité mentale aient pu s’organiser et imposer leur loi aux Elois (à ce titre, le remake de 2002 apportait une réponse intéressante). Cette représentation vient confirmer que l’autre problème du film est clairement le manque de subtilité de son propos… ce qui est vraiment dommage puisque le récit de Wells était propice à une vraie réflexion sur notre société. Ce manque de subtilité est d'autant plus surprenant que le réalisateur n'en a pas manqué pour conclure son film (le choix final du héros étant montré avec beaucoup de finesse). Pour autant, "La machine à explorer le temps" se regarde avec le plaisir de la nostalgie, qui permet de pardonner pas mal de défauts du film et bénéficie du design incroyable de sa fameuse machine "manufactured by H.G. Wells", si on en croit son écran de contrôle. Cette ambiance fin 19e apporte, en outre, une véritable élégance à l’histoire et achève de faire de ce film un agréable divertissement d’un autre temps, qui a cependant, très mal vieilli.