La force d'un grand film réside dans sa simplicité, son évidence. Guillaume Vincent fait plus que le documentaire annoncé. En partant d'un sujet particulier -les ours, il réussit à évoquer notre humanité qui prend ses racine dans la nature et qui est également sujette à ses instincts vitaux.
Le sujet du film trace le quotidien de quelques uns de ces animaux égarés sur une terre russe où se côtoient lave et neige. Une distinction est faite immédiatement, celle du genre. Alors que nos sociétés tendent -à juste titre- d'amener les sexes à jouir des mêmes droits, les instincts de genre prévalent encore chez les ours. Ils ne sont cependant jamais gommés non plus chez l'homme. Egalité n'étant pas identité.
Nous suivons donc le destin de trois ours, la mère et ses deux petits, l'un mâle, l'autre femelle. C'est la fin de l'hiver et les jeunes animaux sont à l'âge d'apprendre à vivre seul et à perpétuer les rituels figés qui s'imposent en été puis en hiver. Le fil conducteur étant pour chacun (la mère, les petits et les grands mâles solitaires croisés en chemin) de préserver son existence, sa vie, de lutter chaque jour contre la mort implacable -arbitre souverain de ces existences fragiles de six tonnes et de trois mètres de haut...
Pour cela, les animaux composent avec le métronome de leurs actions : leur environnement, la nature. En effet, après un hiver de presque 8 mois de jeûne passé dans des grottes glaciales, nos ours suivent chacun leur propre route et sont irrémédiablement conduit vers les petites prairies naissantes au milieu du tapis de neige glacée alentour. Ces « plaines » ne doivent leur existence qu'à des geysers et des sources d'eau chaude que l'activité volcanique autorise. Là, les petits ours affamés remettent leur système digestif en route grâce aux herbes qui y poussent. Les grands mâles solitaires et les mères débarrassées de leur progéniture sont mieux préparés à affronter l'hiver (un ours peut vivre jusqu'à trente ans) et peuvent ainsi reporter la rupture de leur jeûne.
Les quatre mois restant vont être consacré à un rituel annuel, implacable, sublime et absurde : la chasse des saumons épuisés par plusieurs mille marins et qui viennent mourir d'épuisement au source du fleuve qui les a vu naître ou dans les pattes de nos ours qui ne cessent de manger en prévision d'un hiver interminable et implacable. Les ours mères ont -comme bien souvent dans notre espèce- la lourde charge de préserver la vie qu'elles ont donné et le devoir de ne pas mourir. Elles chassent donc pour trois ou quatre. Les vieux mâles savent d'ailleurs s'effacer devant la violence exceptionnelle de ces femelles qui défendent leurs espace de survit : quelques mètres carrés d'un fleuve plus propices à la pêche...
Ce spectacle mécanique et immuable donne le vertige mais force l'admiration. Il y a, en effet, un génie naturel qui agence ce ballet millénaire qui fait que la nature prodigue à chacun un sauf-conduit de quelques jours, de minutes en minutes, de jours en jours, de semaines en semaines et d'années en années. Ainsi, dès que nos ours perçoivent la fin de l'été par un mystère mathématiquement plus sophistiqué que nos instrument de mesure, les mâles fécondent brièvement les femelles et chacun part en quette d'une grotte pour reprendre ce ballet de l'existence quelques mois plus tard...
Comment ne pas voir là, à une échelle plus frustre, les grandes lignes de nos propres existences et comment ne pas en tirer des leçons. Même sur un canapé trois place, l'homme demeure seul face à son destin et les lois de la biologie et du vivant dépassent les éclairs de notre imagination ou de nos désirs.
Ce film est porté par la voix de Marion Cotillard d'une justesse et d'une discrétion exquises. Un beau film, un documentaire esthétique, une belle œuvre.