En 1942, le Monde entier était en guerre (les États-Unis venait d'y entrer suite aux attaques japonaises sur la base de Pearl Harbor) et pendant ce temps Walt Disney changeait, lentement mais sûrement, la face du divertissement familial. Son nouveau long métrage Bambi (1942), adapté du roman de l'écrivain hongrois Felix Salten "Bambi, l'histoire d'une vie dans les bois" (1923), nous raconte l'histoire d'un petit faon nouveau-né appelé Bambi qui va entreprendre un parcours initiatique de l'enfance à l’âge adulte : apprendre à marcher et à parler, faire des rencontres merveilleuses avec ses amis, découvrir l'amour et affronter la dure réalité de la vie. Ce projet de longue date, dont les droits d’adaptation furent acquis par Sidney A. Franklin en 1933, mettra énormément de temps à entrer en production.
À l'origine, Bambi devait être un film "live" mais c'était tout simplement impossible à mettre en scène du fait que la totalité des personnages du roman étaient tous des animaux : il fallait que ce soit fait en dessin animé ! Qui mieux que les studios Disney, à l'époque, pouvait le faire ? Franklin alla voir Walt Disney et, après d'intenses négociations concluantes, ce dernier obtint les droits en 1935 et en guise de remerciements sous forme d'hommage, il créditera au générique Sidney A. Franklin en qualité de consultant artistique sur le film.
La production fut lancée en 1936 et Walt se rendit rapidement compte que l'histoire de Bambi sera beaucoup plus dure et sérieuse que d'habitude et va alors s'investir comme jamais il ne l'avait fait auparavant dans ses films antérieurs en accordant à Bambi des moyens très particuliers. Fin 1937, Walt confie l'adaptation de l'histoire à Perce Pearce et Larry Morey et compose une équipe réduite d'artistes entièrement vouée à sa cause qui auront pour but de parfaire le déroulement de l’intrigue en soignant attentivement le nouveau style d'animation afin que les personnages soient le plus crédible possible. Avec Bambi, Walt Disney veut toucher la perfection et va s'en donner les moyens allant même jusqu'à convoquer des experts enseignant la morphologie animalière et faire venir de véritables animaux dans les studios (cerfs, lapins etc...) pour que les animateurs puissent mieux capter leurs comportements de façon réalistes : tous les personnages sont des caricatures d'être humains (enfants et adultes) par leurs visages tout en se comportant comme de véritables animaux dans leurs anatomies. Bambi, animé par Milt Kahl et Frank Thomas, est le personnage central du film et symbolise à merveille le bambin idéal (comme Dumbo), il est à la fois drôle, naïf, curieux, calme, touchant et émouvant dans son regard; le lapin Pan-Pan, animé par Ollie Johnston, est l'autre star du film qui volerait presque la vedette à Bambi, il est à l'inverse de son ami plus mûr, agité, audacieux, téméraire, loquace (c'est lui qui parle le plus) et faire des bêtises anodines (ses meilleurs scènes sont lorsqu'il subit les remontrances de sa mère et qu'il apprend à patiner à Bambi^^) sans oublier Fleur, la mouffette timide et Féline animées par Marc Davis, Maître Hibou animé par Eric Larson et sa cultissime conception du batifolage. Le scénario reste très fidèle au roman ce qui est très rare chez Disney et le film ne comporte que très peu de dialogue (moins de 900 mots) par conséquent Walt sait que son film va laisser la place au visuel et surtout à la musique pour faire passer les émotions et les messages pour atteindre au plus profond les spectateurs. Si je devais résumer le film en une scène, ce serait celle qui aura marqué à vie des générations entières d'enfants : la mort de la mère de Bambi !
Cette scène laisse place à notre imagination sur sa mort car elle est tuée hors-champ sur un simple coup de feu mais Bambi ne le sait pas à ce moment là, ce qui est terrible c'est qu'il faut attendre qu'il tombe sur son père, le Grand Prince de la forêt pour qu'il lui dise, dans un très long moment de silence, que sa mère ne reviendra jamais puis les larmes coulent et le pari visuel et sonore de la séquence est parfaitement réussi.
Bambi est avant tout un hymne à la vie, une ode à la nature, le côté naturaliste de Bambi est avant tout pour ses décors littéralement somptueux où chaque séquences est une véritable œuvre d'art et tout le mérite en revient à Tyrus Wong qui déterminera le style graphique du film en utilisant ses propres inspirations d'origine chinoise et différentes techniques comme le pastel, la peinture à huile associée à la gouache acrylique qui donnent à la forêt d'avantage de profondeur de champ à la fois réelle sans aller à l’extrême en étant simplifiée pour que les personnages s'y fondent parfaitement. La forêt est vraiment imposante, on n'est vraiment dans la forêt notamment durant le passage des saisons : pluie, neige, glace, soleil éclatant, végétation maigre en hiver et dense en été, la forêt nous attire par son visuel envoûtant et bluffant. J'attribue une mention spéciale à l'une des plus belles séquences du film : son ouverture (le premier plan de la caméra multiplane, constituée de neuf niveaux de peinture sur plaques de verre, et son magnifique travelling de la forêt majestueuse). Que serait Bambi sans sa musique et ses chansons tout simplement indispensables ? Frank Churchill (malheureusement sa dernière participation) et Edward H. Plumb signent un travail soigné et méticuleux, à la fois mi-impressionniste et mi-illustrative, nous livrent ici leurs meilleurs compositions pour Bambi notamment le thème à trois notes effrayant de l'Homme mais aussi les différentes saisons renforcées par la réalisation beaucoup plus propre et travaillée de David Hand. Le choix des chansons chantées non par les personnages mais pour la première fois en "voix off" est très judicieux dans un film où il y a peu de dialogues et accentue le côté beau et majestueux du film : "L'amour est éternel" et la chanson d'amour "Je chante pour toi" sont émouvantes et mention spéciale à "La Chanson de la pluie" magnifiquement orchestrée avec les chœurs pour représenter le vent pendant l'orage est sublime. Rarement une musique aura aussi bien accompagné un dessin animé de la première à la dernière seconde. Je souligne également la performance des effets spéciaux dirigés par Josh Meador et son équipe qui ont fait un travail considérable notamment sur le point culminant du film : la forêt en feu. Walt Disney voulait la perfection avec Bambi ? Il l'a touché ! Magique ! Considéré par des générations et des générations de spectateurs comme le film de Disney le plus beau (artistiquement et visuellement) et le plus émouvant (émotionnellement), Bambi est assurément LE meilleur dessin animé de tous les temps. Il marquera malheureusement, particulièrement à cause de la guerre, la fin d'une époque riche de créativités à la fois artistiques, ambitieuses et innovantes où Walt devra définitivement abandonner les longs métrages animés faute d'économies suffisantes mais pourra, à l'avenir, compter sur ses artistes talentueux et expérimentés. Bambi est le dernier Chef-d’œuvre marquant la fin du premier âge d'or de Disney.