Cinquième des « Classiques d’animation » Disney, Bambi est également le dernier long-métrage du « Premier Âge d’Or » du studio, une période de prospérité débutée avec la production de Blanche-Neige et les Sept Nains, cinq ans plus tôt.
La genèse et les origines du film font, encore aujourd’hui, l’objet de nombreux débats. Une première version avance le rôle crucial du prix Nobel de littérature allemand Thomas Mann dans la naissance du projet. En 1923, le journaliste austro-hongrois Felix Salten, inspiré par un voyage dans les Alpes, rédige son premier roman, « Bambi, l’histoire d’une vie dans les bois », qui devient rapidement un franc succès. Toutefois, à partir de 1938, Salten est contraint de s’exiler en Suisse suite à son opposition au nazisme et à la censure de son œuvre majeure par le Reich. Il y rencontre Thomas Mann, qui est l’un de ses admirateurs. Or, Mann connaît également Walt Disney depuis 1935, ce qui a poussé certains spécialistes du cinéma à affirmer qu’il serait à l’origine de la rencontre entre les deux hommes. Une seconde version affirme que Walt Disney aurait lu l’œuvre de Salten et aurait souhaité l’adapter, avant de réaliser que les droits étaient déjà en possession du réalisateur Sidney A. Franklin, principalement actif durant les années 1920-1930, et qu’une négociation aurait permis de les obtenir. Néanmoins, l’hypothèse qui est aujourd’hui généralement admise est encore différente. En 1933, Franklin achète les droits d’adaptation de Bambi à Salten, avec l’objectif de réaliser un film en prise de vue réelle. Mais le projet rencontre plusieurs complications et en 1935, il contacte Disney en vue d’une coopération. Enthousiasmé mais accaparé par la production de Blanche-Neige, Walt Disney ne commence à travailler sur l’adaptation de Bambi qu’à partir du début de l’année 1937.
Dès le début, le projet se démarque par son ambition réaliste. Des études approfondies ont été menées sur les paysages forestiers et la morphologie des animaux qui y vivent à partir de photographies et de dessins. Toutefois, l’enthousiasme autour de cette adaptation ne suffit pas à empêcher les retards. En effet, Walt Disney préfère concentrer ses efforts sur les autres productions en cours, à savoir, Blanche-Neige, Pinocchio et Fantasia. Abandonnés, les scénaristes hésitent dans le développement du scénario, qui prend du retard. Ce n’est qu’après le choix définitif des séquences de Fantasia que Disney s’intéresse de nouveau au projet à partir d’août 1939. Malgré d’énièmes retards au début de l’année 1940 liés aux choix d’animation, le film est presque terminé à la fin du printemps. Walt Disney envisage, pour un temps, de faire revivre son concept de diffusion itinérante initialement prévue pour Fantasia, mais l’abandonne en raison de ses coûts trop élevés. Toutefois, l’adaptation de Bambi rencontre encore de nouvelles difficultés, financières cette fois. Les échecs récents de Pinocchio et de Fantasia ont placé le studio dans une situation délicate. Pour tenter d’obtenir davantage de revenus dans le but de continuer à financer Bambi et d’autres projets, deux productions à petit budget sortent dans les salles : Le Dragon récalcitrant et Dumbo.
En juillet 1940, le scénario est terminé et les efforts peuvent se porter sur l’animation, déjà bien entamée. En octobre, une projection d’une version préliminaire du projet est réalisée pour Walt Disney, mais celui-ci est mécontent de la musique, jugée trop monotone, et demande à ce qu’elle soit retravaillée. Au printemps 1941, pour de nouvelles raisons budgétaires, plusieurs scènes sont raccourcies, voire supprimées. La grève lancée en mai entraine la fermeture du studio jusqu’au mois de septembre, ce qui retarde encore plus l’achèvement du film. Enfin, après l’entrée en guerre des Etats-Unis, conséquence de l’attaque de Pearl Harbor le 7 décembre 1941, une partie du studio est réquisitionnée pour installer l’armée et près de la moitié des salariés sont enrôlés. Dans ce contexte, la fin du film doit être bâclée par une équipe largement réduite, et le 8 août 1942, la première projection mondiale de Bambi a lieu à Londres. Le budget final n’est pas connu avec exactitude, mais dépasse les deux millions de dollars, comme les précédentes productions du studio.
Toutefois, en dépit des nombreuses contraintes budgétaires et politiques, le résultat confirme l’une des plus belles réussites des studios Disney. Par l’attention apportée à l’usage des couleurs et aux détails, la beauté de l’histoire et le réalisme d’une nature soigneusement étudiée, Bambi est un émerveillement, un classique incontournable et intemporel de l’animation. Les personnages sont, dans leur quasi-intégralité, dotés d’une grande gentillesse et d’une bienveillance à l’épreuve de tous les aléas d’une vie sauvage, du lapin Panpan au franc parler et à la témérité indestructible, au « Prince de la Forêt » majestueux et à l’aura presque mystique. Le principal antagoniste, l’Homme, reste invisible. Une invisibilité qui se retrouve aussi dans ses méfaits, que l’on ne voit jamais directement et qui sont évoqués avec subtilité, de manière à stimuler l’imagination et à amplifier l’émotion plutôt que créer la stupeur d’une violence visible. Quant à la technique, l’utilisation de la caméra multiplane renforce la profondeur de certains plans avec un résultat somptueux. Plusieurs scènes restent gravées dans les mémoires, pour leur beauté esthétique ou l’émotion positive qui s’en dégage : la séquence de la pluie ; celle du jeu sur la glace, qui renforce le lien entre Bambi et son meneur Panpan ; ou encore, la scène de l’entraide entre le Prince de la Forêt et son fils blessé. Enfin, la bande-originale possède de magnifiques compositions et interprétations (« La Chanson de la pluie », « L’amour est éternel », ou encore, « La Chanson du printemps »), qui sont jouées en voix off, une caractéristique assez rare dans le catalogue Disney, et qui font l’objet de trois nominations aux Oscars de 1943.
Même si ce long-métrage qui célèbre la beauté de la nature et de la vie animale n’a pas rencontré le succès lors de sa sortie, en partie à cause des profits absents du fait de la Seconde Guerre mondiale, ses nombreuses ressorties postérieures l’ont hissé au rang des grands classiques. Mais en 1942, après une décennie de progrès dans l’animation faisant de ce genre un art cinématographique à part entière, le studio ferme les portes de son « Premier Âge d’Or », épuisé financièrement par des échecs récents et successifs. Les investissements réalisés n’ont pas été rentabilisés et les recettes n’ont pas atteint les objectifs espérés. La grève de mai 1941, les conséquences de la guerre et les coûts importants des cinq premiers longs-métrages entrainent le studio dans une phase de récession et de ralentissement de ses activités, ouvrant la voie à une décennie des années 1940 qui n’offre aucune production majeure, mais de simples compilations de courts et moyen-métrages dans l’espoir de dégager des revenus salvateurs.