Les bons films français, à plus forte raison les polars, sont tellement rares dans le paysage cinématographique actuel qu’on serait tenté d’octroyer un splendide 5/5. Car "La French" est vraiment un très bon film, comme en témoigne ma note. S’appuyant librement (et j’insiste sur le mot "librement" puisque c’est dûment spécifié avant que le film ne commence), Cédric Jimenez propose pour son deuxième long métrage de revenir sur la confrontation que se sont livrés à Marseille le juge Pierre Michel et Gaetano Zampa, un homme à la tête de la plaque tournante alimentant des trafics en tout genre à l’échelon international. Alors que Zampa avait bâti tout un empire, Cédric Jimenez a choisi de se focaliser principalement sur le trafic de drogue. Si le portrait de Zampa est de ce fait incomplet par rapport à la réalité, le choix de Jimenez a le mérite de ne pas se disperser dans les différentes activités du criminel et de son réseau, de ne pas risquer ainsi d’être évasif sur l’une ou l’autre de ces activités, et par la même occasion de ne pas faire un film-fleuve, à moins de le couper en deux comme cela a été fait pour Mesrine. Chacun se fera son propre avis sur les impasses faites. En attendant, quel film ! Le scénario a été écrit aux petits oignons, la part belle a été donnée au talent des acteurs, le montage donne de la fluidité au récit alors que celui-ci s'étale sur quelques années, et la musique très à propos à chacune des scènes accompagne le tout à merveille. On en a déjà un bel aperçu lors de l’entame de ce long métrage, Cédric Jimenez s’attardant avec beaucoup de talent sur cette moto chevauchée par deux hommes dont le comportement fait comprendre au spectateur qu’ils ont des intentions bien différentes que celle de faire du loisir. Cette première séquence est immédiatement suivie d’images d’archives fournies par l’I.N.A., pour une présentation efficace du contexte de façon concise, nette et précise. L’immersion au milieu des années 70 est immédiate grâce aux véhicules, qu’ils soient à deux roues ou à quatre roues. 40 ans après, Jiménez met sous les yeux du spectateur toute une ribambelle de véhicules aujourd’hui convoités par des collectionneurs en quête de nostalgie et avides de perpétuer ce qui a marqué leur époque. Ainsi, sur le même parking, sont réunis des véhicules emblématiques, de la célèbre DS à la 4L, en passant par la Renault 16, la 2CV, la 304 cabriolet et une Lancia. On retrouvera une partie de ces mêmes véhicules sur un autre plan du même parking environ 1h20 plus tard, rangée différemment après avoir pris soin tout de même de remplacer quelques modèles par d’autres (Fiat 500, Renault 8). Mais tout au long du film, on découvrira aussi des Peugeot 504 et 505, une Renault 12, des Mercedes, … Oui, le souci du détail est allé jusque-là. L’ambiance seventies est parfaitement rendue aussi par les costumes (bien qu’assez passe-partout avec entre autres des costards à la fois sobres et élégants), la décoration (aouch le design de certaines tapisseries !). Mais ça ne s’arrête pas là : les téléphones d’époque ont trouvé une seconde vie (vive le cinéma !), même les paquets de cigarettes sont d’époque ! C’est un plaisir de voir qu’un budget fort de 21 millions d’euros n’a pas été seulement utilisé pour rémunérer les comédiens. Non, les petits plats ont été mis dans les grands. Un sacré pari de la part des producteurs quand on confie la réalisation à quelqu’un qui n’en est qu’à son deuxième long métrage. En parlant des acteurs, leur boulot est si parfait qu’ils sont aussi vrais que nature. Jean Dujardin fait un juge très convaincant, habité par ce fervent désir de débarrasser les rues de Marseille de la poudre blanche qui fait des ravages auprès de la jeunesse. Un fervent désir qui le pousse à tout contrôler, quitte à envahir des bureaux autres que le sien. Un fervent désir qui tourne à l’obsession dès l’instant où il apprend avec stupeur le décès d’un de ses témoins : le véritable tournant du film, formidablement interprété par l’immense talent de Jean Dujardin en matière d’expression scénique, et qui trahit sa colère et cette sourde volonté de ne plus jamais voir de jeunes destins brisés de la sorte. Face à lui, son pote de toujours : Gilles Lellouche, dans la peau de Gaetano Zampa, dit "Tany". Malgré ce qui oppose les deux personnages, on sent une sorte de respect, surtout venant de Gaetano. Du respect mêlé à du défi, point d’orgue de la confrontation directe entre les deux hommes sur les crêtes marseillaises et qui démontre bien qu’aucun des deux n’est prêt à lâcher le morceau. Remarquable. Il n’empêche que sous son air tranquille (si j’ose dire) non dénuée de forte personnalité, Zampa cache bien une inquiétante violence. Latente mais bien menaçante. Lellouche l’interprète très bien. Evidemment, tout l’intérêt de "La French" repose sur l’affrontement que se livrent les deux hommes. Et pourtant, leurs confrontations directes sont plutôt rares à l’écran. Cela parait logique : après tout, Zampa avait ses sbires pour exécuter tout le sale boulot, et Pierre Michel n’était qu’un juge. Mais pour un juge, qui aurait pu imaginer qu’il aille autant sur le terrain ? Le fait est que nous les voyons peu ensemble à l’écran. Pour autant, leurs destins sont étroitement liés par une multitude de seconds rôles, pour certains voyous, pour d’autres flics, voire même les 2 à la fois… tout comme ils sont étroitement liés par ces parallèles faits avec la vie du mafieux entouré des siens, et la vie privée du juge auprès de sa famille, dont l’épouse torturée que Céline Sallette porte avec brio jusqu’à prendre le spectateur aux tripes par des cris de douleur venus d’un autre monde. "La French" est un film policier détaillant toutes les phases d’une enquête complexe et néanmoins passionnante, tour à tour flamboyante par les nombreux soutiens que reçoit le juge et par les connectivités tentaculaires de ce réseau fiché au grand banditisme, puis ténébreuse quand les personnages phares se retrouvent isolés. De ce film, on retiendra principalement l’affrontement des deux hommes, l’interprétation des deux acteurs subjuguée par une belle photographie, le parfum suranné des années 70, et la musique de Guillaume Roussel, qu’elle soit composée de ses propres partitions ou de titres préexistants. Cédric Jimenez : un jeune talent à suivre ? L’avenir nous le dira.