La French est le plus gros budget de l’année en France, 21 millions d’euros, presque risible face au budget moyen d’un film de gangsters Hollywoodien, et le réalisateur a décidé de sortir le film en avant-première dans tous les cinémas autour de la cité phocéenne (dans le jargon technique on appelle ça faire un « Dany Boon »). C’était donc sans trop de conviction que je m’engouffrais dans la salle obscure. Après l’inévitable quart d’heure de pub pour le carreleur du coin le film commence : une moto suit une Rolls Royce sur la corniche dans un panorama de carte postale façon intro de Taxi 1. Elle s’arrête et son passager flingue le conducteur de la voiture. Noir. Titre. Images d’archives de journaux TV. Je regarde ma montre, me dis intérieurement que je déteste le cinéma français, encore 2h10 de film. Peuchère ça va être longuet.
Et puis, et puis… je me suis laissé aller de surprises en surprise. Pour commencer le duo Dujardin-Lellouche, non pas dans un classique jeu de gentil gendarme et méchant voleur et encore moins dans une bromance homogay à la Infidèles (film à sketch de 2012) mais dans une écriture vraiment pas mal et assez profonde des personnages opposant d’un côté le juge Pierre Michel, manipulateur, tricheur et autoritaire à l’animal parrain Zampa porté sur la fibre familiale. On comprend rapidement que ces deux affamés, des cadors chacun dans leur domaine, se haïssent mutuellement car ils sont au fond très proches. Dévoué corps et âme à la French, chacun de son coté de la loi. Ce côté meilleur ennemi hisse facilement leurs (très) rares scènes ensemble parmi les meilleures du film, mais cela se fait toutefois un peu au détriment de la crédibilité de l’histoire.
« Librement inspiré de faits réels » peut-être mais mise en scène résolument réaliste. On n’est pas à Hollywood où des agents du FBI aux physiques de mannequins arrêtent des mafieux en costard cravate après s’être battu sur un train, un avion, un minibus Volkswagen, etc. Ici on touche presque au biopic en suivant la vie de Pierre Michel de sa nomination en tant que juge du grand banditisme en 1977 à son assassinat en 1981.L’enquête du juge est plus que laborieuse, grappillant des indices où il peut avant qu’ils ne disparaissent, luttant contre l’inertie de ses supérieurs frileux de s’attaquer à Zampa quand ils ne sont pas déjà à sa solde. Le film prend le courageux parti de coller à la réalité d’une pénible procédure judiciaire plutôt que de basculer dans l’action à tout prix quitte à installer quelques longueurs qui, au final, sont plus que pardonnables.
Ce souci de l’immersion du spectateur se retrouve partout, du double menton naissant de Dujardin aux bistrots du vieux port en passant par les voitures et musiques, tout est fait pour faire revivre les années 70 ayant servie de théâtre à cette affaire. Si, étant né à Marseille, j’ai souri en voyant le jeu sur les plans ou la focale visant à cacher les ajouts architecturaux les plus récents de la ville, force est de constater que le travail pour recréer l’ambiance de l’époque est colossal. Le plus bluffant est peut-être l’attention portée aux décors et à l’éclairage qui donne un petit côté daté, vintage à l’image tout en conservant une manière de filmer résolument moderne. Caméra au poing pour suivre l’action, plan rapproché pour suivre le juge.
La caméra donc, à la fois rien d’exceptionnel mais une très grande maitrise sur l’ensemble du film. Toute la première partie qui voit le juge Michel batailler pour essayer de lancer sa lutte contre le crime est filmé en gros plan, la caméra semble en permanence être à une trentaine de centimètres du visage de Dujardin ce qui provoque un sentiment presque oppressant. Sentiment qui disparaît quand, se prenant au jeu, le juge obtient ses premières victoires et comme une bouffée d’air frais, l’histoire devient moins anxiogène, la caméra s’éloigne.
Voilà, j’ai aimé ce film. Même si Marseille semble coincé dans un éternel été, même si certains personnages sont un peu caricaturaux (bien que des énergumènes comme ça, j’en aie déjà croisé en ville), même si Dujardin n’est pas Belmondo et Gille Lellouche n’est pas Delon ou Marlon Brando, même si une scène montrant la préparation d’une prise d’héroïne est risible pour qui a celle de Pulp Fiction en tête (fallait pas mettre Bang Bang à la B.O si tu voulais pas te prendre une comparaison à Q.T dans les dents, film), La French est sans problème le meilleur policier made in France depuis le diptyque Mesrine (2008, déjà), et est pour moi sans problème LE film français de l’année.
Michel et Zampa apparaissent comme deux hommes de valeur (chacun selon une interprétation personnelle du terme) face aux pourris et à ceux qui ont su tourner leur veste au bon moment. Cela amène à une conclusion d’un cynisme noir presque désespéré qui m’a fait comprendre que la French n’est pas qu’un simple film policier, un téléfilm dopé aux hormones comme notre pays sait si bien les produire à la chaîne, mais un film de gangsters ambitieux qui s’est donné les moyens d’être ce qu’il est : une réussite.