Que les choses soient claires d’emblée : moi, j’adore quand un film m’emmène sur un chemin que je ne connais pas ; un chemin que je l’arrive pas à anticiper ; un chemin qui me laisse dans cette situation grisante du « mais que va-t-il se passer ? »… Pour le coup, c’est clairement le cas de cet « I Origins ». Et je trouve que l’effet est d’autant plus agréable quand un auteur parvient à donner très rapidement tous les gages de confiance nécessaires pour qu’on sache à l’avance que le film ne va pas se débiner en cours de route dans une sorte de n’importe quoi. Or, pour le coup, « I Origins » m’a vite rassuré grâce à deux points qui ressortent assez rapidement : d’une part il est formellement très beau, très agréable, très sophistiqué ; mais en plus de ça, d’autre part, je le trouve vraiment bien écrit. Bah oui, parce que l’air de rien, il s’ose à une intrigue assez risquée ce film, osant emprunter une pente assez scabreuse. Il est question de science, de rapport au mystique, de ce qu’on peut considérer comme existant et non-existant malgré l’absence de preuve. Bref, c’est un sujet super intéressant, surtout quand il est traité au travers d’une fiction, mais il est aussi super casse-gueule car se pose toujours le risque de saborder un postulat intéressant soit par des stratégies d’évitement lâches, soit par des biais idéologiques honteux. Or, je trouve que ce film sait vraiment bien faire le boulot sur cet aspect-là. Très tôt il prépare le terrain, il pose tous les angles possibles sans veiller à en oublier aucun. C’est assez rigoureux tout en faisant en sorte que ça passe comme du petit lait au milieu de dialogues anodins. Franchement nickel. Et c’est d’autant plus nickel que le film se risque à un cheminement de l’intrigue qui prend un vrai gros risque par rapport à son propos. Pour avoir un peu lu ce qui se disait sur ce film après l’avoir vu, je me suis rendu compte que cette prise de risque n’avait pas toujours fonctionné sur tout le monde. Certains affirmaient même que, pour eux, « I Origins » avait rompu le contrat fixé au départ en s’abandonnant à
une conclusion mystico-religieuse
. Eh bah moi je ne suis pas d’accord avec ça ; bien au contraire !
Puisque le propos porte sur la posture de la science et de la mystique face au réel, et que la question qui est posée est de savoir laquelle des deux postures cerne le mieux ce réel, il me semble qu’au regard des arguments avancées et des raisonnements développés, que cette conclusion de film est des plus pertinente. La conclusion ne dit pas « Ah vous avez vu ? Parfois les mystiques ont raison et les scientifiques ont tort ! Il y a bien une transmission magique qui s’opère d’un être à un autre et qui peut s’observer à travers leurs yeux ! Et le scientifique, borné qu’il est dans ses certitudes, eh bah il aurait pu ne pas le voir s’il s’était pas ouvert à la pensée mystique ! » Non, ce n’est clairement pas ça le propos tenu. Il me parait évident qu’en définitive, le film développe une opposition plus subtile – et plus juste – entre la pensée scientifique et la pensée mystique. Le film insiste en fait sur l’importance à ne pas mettre les savoirs scientifiques et les croyances mystiques au même niveau. Certes, des phénomènes naturels et physiques bien réels échappent encore à la science, mais ce n’est pas parce que la science reconnait son ignorance sur certains phénomènes, qu’elle se doit d’accepter des suppositions mystiques sans qu’il y ait eu préalablement expérimentation et démonstration. D’ailleurs le débat entre Ian, le héros, et Sofi, sa première femme, insiste bien là-dessus : un scientifique n’est pas borné dans ses savoirs. Il est capable de saisir que des phénomènes du réel le dépassent. Mais pour qu’ils puissent les considérer comme réels, il faut qu’il les éprouve au travers d’un protocole. Et pour le coup, je trouve mille fois plus intéressant que le film pose le scientifique face à un phénomène que l’intrigue établit comme bien réel plutôt que comme une simple chimère qu’il s’est mis à poursuivre pour satisfaire illusoirement son chagrin. Ainsi le film illustre bien mieux la difficulté des chercheurs à faire avancer la science. Dans le cas de figure fixé par le film : une avancée scientifique est possible, mais elle pourrait très bien être avortée par les émotions, désirs, doutes, espoirs du chercheur… Parce que, si dans le cas contraire, le film avait posé comme cas de figure l’absence de phénomène nouveau à découvrir en bout de course, il n’aurait du coup plus été question de découverte scientifique, mais simplement des vagues à l’âme d’un scientifique, ce qui aurait laissé donc toute une partie de l’intrigue et du propos développé en début de film en jachère. Pour le coup ce film se serait terminé sur un trou d’air, fuyant la question qu’il avait lui-même amorcée… Du coup, quand certains disent : « Oui mais finalement le film sombre dans le mysticisme et semble justifier les charlatanismes douteux comme peut l’être l’intelligent design, je ne suis pas du tout d’accord. D’une part, le phénomène introduit dans le film n’a pour moi rien à voir avec l’intelligent design. Après tout la transmission des souvenirs peut se faire de manière totalement aléatoire par un phénomène physique qui nous échappe juste tout simplement. D’autre part, le film ne dit pas « les charlatans et les mystiques ont en fait raison. » La démarche du scientifique est à mille lieues des démarches créationnistes. Il ne quitte jamais sa posture de doute et d’expérimentation de la réalité, et cela même quand il se rend compte qu’il a mis la main sur un phénomène qui le dépassait. C’est bien tout l’inverse de la démarche créationniste.
Moi quand j’entends ces critiques, j’ai plus l’impression d’entendre des gens déçus qu’on ne les conforte pas dans l’idée que la science sait déjà tout et qu’il n’y a plus rien à questionner et à découvrir. Encore une fois, je trouve cette posture dommageable, surtout quand elle entraîne un jugement sur ce film qui, pour moi, est erroné. Alors après, je reconnais malgré tout que, moi-même, sur le final, sans pour autant vraiment décrocher, j’ai quand même légèrement pris mes distances avec l’intrigue. Mais pour moi c’est moins lié au propos plutôt qu’à la manière de mener le cheminement de la dernière demi-heure. Pour le coup j’ai trouvé ça moins subtil et moins logique.
Parmi les exemples qui viennent en tête : pourquoi Ian décide de payer une fortune pour afficher des yeux sur un panneau publicitaire, se faisant du coup harceler au téléphone par plein d’intrus, plutôt que d’afficher directement le nom de Salomina ? Certes, c’est moins esthétique (et je pense d’ailleurs que le film a opté pour cette stratégie à cette seule fin) mais d’un autre côté je trouve que ça fait trop artificiel et téléphoné pour que l’intrigue me parle de manière aussi spontanée qu’au début. Idem, le fait qu’au refuge pour enfant, on laisse Ian partir SEUL avec la petite Salomina pour qu’il puisse l’amener dans sa chambre d’hôtel, et cela sans que personne ne l’interpelle sur son chemin, moi j’ai juste trouvé ça hallucinant… et surtout très glauque. Alors après, encore une fois, je comprends mieux ce choix une fois que se révèle l’importance de l’ascenseur de l’hôtel pour la révélation de l’intrigue, mais en attendant j’ai enchainé quelques WTF sur la dernière demi-heure qui m’ont un peu sorti du trip dans lequel ce film était parvenu à me plonger…
Bref, même si elle peine à quelques rares moments à donner de la logique à son cheminement, l’intrigue parvient néanmoins à se faire cohérente jusqu’au bout et à transformer avec succès le pari qui avait été fait dès le départ. Parce qu’au final, bien plus que de science, ce film a essayé de parler d’humain, et pour le coup je trouve qu’il y parvient parfaitement en mêlant une part d’émotion, de sentiment et d’espoir dans cette recherche scientifique. Personnellement, étant moi-même passé par la case « recherche scientifique », je trouve qu’il est assez inenvisageable de parler de science froidement. La science implique une passion, et la passion est souvent généré par plein d’autres aspects de l’individu qui fait le scientifique. Le scientifique est avant tout un humain qui aime, qui cherche à comprendre, qui essaye de donner un sens aux choses. Ce film a essayé de cerner ça au travers d’une histoire humaine, où l’intellect n’était pas déconnecté de l’émotion, de la chair, de l’espoir, du doute, et c’est là je trouve toute sa réussite. Sans donc crier au chef d’œuvre non plus, je trouve que ce film a su parfaitement tenter sa chance crânement, allant jusqu’à transformer l’essai. Du coup, moi je dis bravo, et je ne peux que souhaiter « bonne continuation » à l’audacieux Mike Cahill.