C’est eux les chiens se présente sous la forme d’un faux documentaire, puisque l'intrigue se déroule pendant le ournage d’un reportage pour la télévision marocaine en plein printemps arabe à Casablanca. Les journalistes, pas vraiment passionnés par le micro trottoir qu'ils sont en train de tourner, tombent par hasard sur un viel homme, Majhoul, et vont se rendre compte que ce dernier a été emprisonné pendant 30 ans, pendant les émeutes de 1981 dites du Pain, avant d’être libéré en 2011, soit 30 ans plus tard, en plein Printemps arabe. Majhoul devra donc apprendre, aidé par les journalistes de télévision, pas forcément désinteressés et qui pensent plutôt avoir trouver une poule aux oeufs d'or, à prendre sa place dans ce nouveau monde qui lui est totalement inconnu, tout en faisant une recherche sur son passé.
On le voit avec ce résumé : ici, contrairement à The end, son précédent fuilm, inédit en France, le film part d'une excellente idée de scénario, originale et maligne, qui est aussi l'occasion de faire un portrait d'une société marocaine en ébullition, une société arabe moderne tiraillée entre conservatisme bien ancré et une soif évidente de rebellion et de libérté. Le film a l'intelligence de revenir sur un épisode méconnu et oublié un peu de tout le monde, et même visiblement des marocains, à savoir les révoltes du pain de Casablanca de 1981.
Du coup, le coté viscéral, totalement libre, de la mise en scène de Lasri trouve une vraie raison d'être et rend d'autant plus intense la quête de Majloul, sorte d'Ulysse des temps modernes (dixit le dossier de presse) à la recherche de son passé.
A la fois peinture cruelle de la société marocaine, satire du monde des médias et thriller identitaire, "C'est eux les chiens" bénéficie aussi de l'inteprétation exceptionnelle de l’acteur Hassan Badida, totalement habité dans le rôle de ce 404 ( le matricule qu'il avait pendant 30 ans) à la fois totalement hébété, et tentant quand même de s'accrocher à des détails de ce quotidien qu'il redécouvre ou qu'il découvre.
Car cet homme, privé de liberté pendant 30 ans de sa vie, trouve un monde qu'il ne connaissait pas, un monde truffé de téléphones portables aux applications les plus étranges les unes que les autres, de sms, pour s'aperçevoir, en fin de compte que, malgré les apparences, rien n’a vraiment changé entre ces deux révolutions populaires.
Et cette quête et cette prise de conscience un peu malgré lui nous est racontée intégralement à partir de la caméra subjective de l'équipe de télévision, une caméra qui devient un personnage à part entière du film, et qui rend ténue, mais parfaitement maitrisée, la frontière entre documentaire et fiction.
Produit sur ses deniers propres ( Lasri a refusé toute aide du gouvernement marocain) par le réalisateur Nabil Ayouch (auteur de l'excellent les chevaux de dieu, chroniqué ici même), "C'est eux les chiens" est de de la même veine : un cinéma engagé, militant, parfois un peu trop confus et exalté dans son message et sa mise en scène, mais éminement sincère et surtout porté par un vrai regard de cinéaste. Ce film risque d'avoir un nombre de copies restreint, donc, si le sujet vous intéresse, n'hésitez pas à aller voir cette curiosité qui vaut largement le coup d'oeil.