Il y a de ces films où dès le début, ou avant même d’aller le voir en salles, vous savez que vous allez adorer. Blue Ruin fait partie de cette catégorie là. Ca sentait quand même bon l’ovni qui vous reste en travers de la gorge quelques jours, et ce fût le cas. Hypnotisant.
Un réalisateur qui sort de nulle part avec à son actif une comédie horrifique rassemblant un casting improbable aurait pu présumer le pire. Pourtant, après avoir vu le film, j’ai bien envie de dire que Saulnier a du Jeff Nichols dans les idées et la réalisation. Et c’est vraiment un compliment. En ce qui concerne l’histoire, ça m’a beaucoup fait penser à Shotgun Stories, ce film qui raconte l’opposition entre deux fratries qui ont le même géniteur. Et de manière plus technique, ce Blue Ruin est au moins aussi beau que Take Shelter où Mud. Le rythme est posé, l’ambiance se veut lourde mais elle est finalement apaisante. On rentre donc parfaitement dans la peau de notre anti-héros dont on ne sait rien, si ce n’est qu’il part en croisade contre le tueur de ses parents. Pas franchement original dans les grandes lignes, mais plutôt très osé dans la mise en scène.
On ne sait pas bien ce qui s’est passé dans la vie de Dwight depuis tout ce temps, et on n’approuve pas forcément l’idée de vengeance qui l’enivre, mais on a quand même envie de le comprendre, de le soutenir, d’être derrière lui. Et surtout, de vivre le film à la première personne, à travers sa personnalité et ses pensées. Et c’est bien là que Saulnier réussit son coup : on a de l’empathie pour un tueur fugitif car tout est fait en aval pour qu’on le soutienne. Véritable phœnix qui renait de ces cendres, Dwight attire la sympathie du spectateur malgré les motivations qui l’animent.
Ce paradoxe nous conduit donc à un débat de fond sur l’autorisation du port d’arme, et de la facilité avec laquelle on peut s’en procurer où s’en servir, et jusqu’où les habitants des Etats-Unis sont parfois prêt à aller pour faire valoir leurs droits. Avec ce film, Saulnier a pour moi réussi à poser les questions que Funny Games posait déjà, mais en mieux. A savoir qu’il y a un petit coup de mou dans le film, et que l’on attende que ça redémarre de plus belle. Et c’est là que je me suis demandé si ce n’était pas malsain de réclamer à nouveau de la violence afin que l’on ne s’embête pas trop longtemps. Car au-delà de l’histoire qu’il raconte, Saulnier souhaite délivrer des réflexions, et c’est pour cette raison que j’en suis arrivé ici. Ce film peut entrainer des débats sur la famille, la vengeance, le port d’armes, la réinsertion sociale, le pardon, l’exclusion. Et c’est entre autre pour ça que Blue Ruin s’avère être une franche réussite : il fait réflechir.
Alors si c’est très intéressant et pertinent dans le fond, et comme je l’ai déjà rapidement évoqué, la forme ne joue pas non plus un rôle anodin dans le succès de ce film. Les plans sont travaillés et calculés aux millimètres, et il n’est pas étonnant de découvrir que Saulnier est directeur photo avant d’être réalisateur. C’est un véritable régal visuel et auditif que de plonger dans une telle atmosphère. Pour le côté drame américain indie financé comme on pouvait, ça me fait également penser à Bellflower, qui avait en outre ce côté pessimiste et criant au secours qui lui allait si bien.
Pour conclure, Blue Ruin, ce n’est pas le genre de film à mettre entre toutes les mains, mais c’est un film qui va plaire à coups sûrs à tous les amateurs de cinéma car il contient véritablement tous les ingrédients d’une œuvre qui vaut au moins le coup d’œil. Qu’on aime ou qu’on naime pas, il s’agit du genre d’expérience à vivre que le cinéma nous propose que trop rarement, autant pour les messages qu’il délivre, que pour l’ambiance dans laquelle il nous baigne.