« Rocthem ! »
Si le Café de la Gare, vaguement café-théâtre, essentiellement théâtre né dans les vapeurs libératrices de mai ’68, a vu plusieurs de ses membres accéder au statut de star des planches et du cinéma (Miou-Miou, Coluche, Patrick Dewaere, Gérard Depardieu, Henri Guybet, plus discrètement Romain Bouteille et, plus tard, Gérard Lanvin, Renaud ou Rufus), ce Themroc, œuvre collective dudit théâtre et portée par un Michel Piccoli, acteur éclectique auréolé de succès certains (Le Doulos, Melville, 1962 ; Le Mépris, Godard, 1963 ; Belle de Jour, Buñuel, 1967 ; L’Etau, Hitchcock, 1969 ; Les Choses de la Vie, Sautet, 1970) est avant tout un film expérimental, sans dialogue verbal mais pas muet pour autant. Les bruits du quotidien sont permanents et les personnages s’expriment, tantôt par interjections, tantôt en un sabir à peine articulé, ce qui ne freine en rien la compréhension des échanges. L’absence de musique (à l’exception de l’Internationale sifflée par un maçon/Patrick Dewaere), ajoute encore à l’hyperréalisme de l’oeuvre.
Les scènes qui se succèdent au début décrivent, comme une absurde litanie de gestes répétés jour après jour, le quotidien de Themroc, ouvrier peintre, obsédé, voyeur, incestueux, parmi de « gentils prolétaires », entourés de « gentils gardiens », de « gentils sous-directeurs », etc. Voilà pour la situation initiale (les 20 premières minutes). L’élément perturbateur concerne une injustice dont Themroc va se retrouver victime, dans un scénario qui sera vu comme fantastique mais qui tient plus de l’absurde, où le héros va pouvoir passer de la frustration à la révolte, exprimée par le passage d’une toux qui va crescendo à des cris gutturaux préhistoriques, comme une libération.
Les clichés très en vogue dans les années ’70 dans les milieux anars de gauche (Hara-Kiri, Charlie Hebdo… notons que le film sort la même année que L’An 01 d’après Gébé) sont bien présents (militaire frustré qui se défoule sur un jeune chevelu innocent, CRS imbéciles, sous-directeurs arbitraires, policier qui cogne sur sa femme, d’autres qui cognent sur un Arabe à vélo… d’ailleurs) auxquels le film répond par la transgression de toute une série de tabous civilisationnels
(l’inceste frère-sœur, le mari cocu mais content, le militaire qui se fait gifler par le rebelle, la nudité publique et le sexe décomplexé, la destruction des meubles et des lieux de vie, le cannibalisme), ce qui n’est pas sans rappeler jusqu’aux chansons de Brassens, les mots en moins, l’éloge du retour aux âges préhistoriques, décivilisés, en plus.
Si Michel Piccoli est absolument remarquable, on notera aussi la prestation de Béatrice Romand (habituée des film d’Eric Rohmer) et celle de Jeanne Herviale, éternelle petite vieille du cinéma français, dans le rôle de la maman qui traîne son sanglot intérieur et qu’on a envie de consoler. Coluche, Miou-Miou, Henri Guybet, Romain Bouteille, Patrick Dewaere, Marilù Tolo (qui, apprend-on, a inspiré Gainsbourg), Francesca Romana Coluzzi et de nombreux autres interprètes habitué·es aux rôles de figurants récurrents complètent la distribution dans des interprétations parfois multiples (ce qui déconcerte pas mal).
La réalisation de Claude Faraldo, enfin, caméra à l’épaule et plans serrés, voire décadrés, avec un scénario unilinéaire (sur un plan classique : une intrigue, un lieu, un temps) préfigure des courants artistiques plus proches de nous dont Dogma (j’ignore si Lars von Trier et Thomas Vinterberg ont jamais vu Themroc, même si le film a obtenu le prix spécial du jury et le prix d’interprétation pour Michel Piccoli au premier festival d’Avoriaz).
Enfin, film au message politique et sociétal évident, film dérangeant aussi, Themroc est également truffé d’humour et de poésie. Un film inclassable, unique en son genre, un chef d’oeuvre toujours d’actualité.