Critique de mars 2016
Tout a été dit ou presque sur Batman v Superman : L'Aube de la Justice. Du massacre virulent des critiques à l'encensement hyperbolique et biaisé des fanboys, le film de Zack Snyder aura au moins eu le mérite d'enflammer la toile et de déchainer les passions. Alors que les recettes finiront loin du milliard de dollars tant convoité, la Warner rentrera tout de même largement dans ses frais mais avec une énorme pression pour la suite des événements avec leur DC Extended Universe. C'est ce qui arrive quand on a les yeux plus gros que le ventre. Malgré tout, disons le tout de suite : si le film présente effectivement son lot de défauts, il est loin d'être la daube décriée par certains. Il faut savoir faire la part des choses.
On vit une drôle d'époque lorsque l'un des reproches que l'on peut faire à un blockbuster, c'est d';être trop ambitieux. C'est pourtant le cas ici, puisque le but du film pour le studio devait être d'étendre l'univers DC débuté avec Man of Steel pour conduire à la Justice League, équivalent chez DC des Avengers de Marvel. Ce qui nous amène directement au principal problème du film que l'on craignait dès l'annonce du titre et des bandes annonces : l'histoire principale est entrecoupée d'éléments annonçant les films suivants au détriment de la structure et de la cohérence du film. Clairement, le film aurait gagné à n'être que Batman v Superman, et à laisser de côté L'Aube de la Justice. C'est pourtant déjà ce qui est reproché à Marvel et on aurait pu se dire que Warner/DC allaient le prendre en compte. Force est de constater que ce n'est pas le cas, puisque pour le spectateur lambda, se retrouver devant Batman v Superman : L'Aube de la Justice, c'est comme se retrouver devant Avengers sans avoir vu les 5 films qui ont pavé la route. Des scènes qui pourraient servir de bonus post-générique sont maladroitement forcées dans l'intrigue, et ne trouveront leur sens que dans les films suivants. L'insertion de ces éléments d'intrigue provoque des ruptures dans le rythme et la cohésion du film. Ainsi, l'impact de l'histoire principale s'en trouve diminué et le développement des personnages, les questions intéressantes que posent le film et le lien avec l'actualité sont plus difficiles à percevoir tellement on nous donne à digérer.
La durée du film est un problème, mais pas forcément celui que l'on croit. Soit le studio décidait de mettre moins d'intrigues et le film durait moins longtemps, soit ils devaient accepter la demi-heure supplémentaire qui aurait peut être aidé le film à gagner en fluidité et en cohérence (EDIT : c'est totalement le cas). Le film sorti dans les salles souffre clairement de coupes et d'un montage qui sent le compromis au détriment de l'intrigue. Avant même que sorte le film, Zack Snyder annonçait son director's cut et la Warner a déjà publié une scène coupée sur YouTube pour éclaircir un point de l'intrigue resté flou à la fin du film. C'est un véritable paradoxe entre les ambitions affichées du studio et la crainte d'aller jusqu'au bout en livrant une vision complète avec un film de trois heures. Trente minutes de plus feraient-elles de Batman v Superman : l'Aube de la Justice un meilleur film ? (EDIT : Yep!) Il faudra attendre quelques mois pour le savoir, mais le film gagnera sans doute déjà en clarté. (EDIT : re-Yep!) Un second visionnage aide déjà à mieux apprécier le travail sur les personnages, mais encore faut-il que les spectateurs aient envie de se replonger dans un film qui met de côté l'humour pour se concentrer sur le côté obscur et torturé de ses « héros ».
La noirceur du film, mise en avant par ses détracteurs, n'est certainement pas pour tout le monde. Batman et Superman n'y sont pas dépeints comme les héros qu'on espère. L'un est un justicier violent et sadique et l'autre un immigré déprimé cherchant sa place dans le monde. Ce n'est effectivement pas l'idée qu'on se fait de « super-héros », mais avant de crier au scandale, il faut d'abord mettre de côté ses aprioris et sa vision puriste des personnages. En effet, il ne s'agit pas là des versions idéalisées de personnages que l'on connaît depuis notre naissance, il s'agit de réinterprétations qui, au moins, apportent de la nouveauté aux personnages et surtout, des faiblesses. Quel intérêt de nous présenter un Batman ou un Superman parfaits dès le départ ? Un héros ne doit-il pas traverser des épreuves pour mériter son statut ?
Commençons par Superman. Depuis les événements de Man of Steel, Clark (Henri Cavill qui fait ce qu'il peut avec le peu qu'on lui donne) ne cesse de souffrir du poids de ses responsabilités. Ce n'est pas chose aisée d'être considéré comme un dieu par une partie de la population et comme un monstre par les autres. Le monde s'est retrouvé bouleversé par son arrivée. Les références et la symbolique religieuses sont évidemment de mise, Superman étant ce qui se rapproche le plus d'un miracle ou de l'arrivée du Messie. De par ses pouvoirs, il a la responsabilité de sauver tout le monde et il fait tout ce qu'il peut pour y arriver, mais cela ne suffit jamais. Ses actes sont scrutés et remis en question par une partie des humains, en conséquence à la destruction de Metropolis par les kryptoniens. Ses interventions dans n'importe quel pays menacent de bouleverser l'ordre mondial, ce qui effraye au plus haut point les instances politiques, incarnées ici par la sénatrice Finch (Holly Hunter) ou les gens qui aspirent au pouvoir, comme Lex Luthor. S'il apporte l'espoir à beaucoup, Superman dérange par sa simple existence et malgré toutes ses bonnes actions, on lui demande de rendre des comptes. C'est bien au procès de Superman qu'on assiste ici et le titre aurait pu simplement être People v Superman. La responsabilité du monde et les critiques constantes sapent le moral de Clark qui souhaite simplement faire le bien et profiter de sa vie amoureuse avec Lois. Clark est frustré de constater qu'il est constamment remis en question alors que de l'autre côté du fleuve, à Gotham City, un violent justicier marquant ses victimes au fer rouge n'est pas inquiété par la loi et est même soutenu par la police ! Superman ne peut tolérer les méthodes illégales du justicier impuni et prend sur lui d'y mettre un terme, débarquant à Gotham et ordonnant à Batman de cesser ses activités. Il est loin de se douter qu'il ne fait qu'attiser davantage la haine que le Chevalier Noir lui voue déjà. Ce qui nous amène à Batman.
Ben Affleck incarne la meilleure version du justicier sur grand écran jusqu'à présent. Que ce soit avec ou sans le masque, Affleck interprète parfaitement le héros torturé au point de faire taire ceux qui avaient crié au scandale lors de l'annonce du casting. Batman est l'atout majeur du film et il ne déçoit presque personne. En effet, le Batman que nous rencontrons ici n'est pas un héros, il n'est même pas digne de son propre code moral, comme le soulève Alfred, majordome toujours fidèle mais déçu par le chemin emprunté par Bruce Wayne, le qualifiant même d'homme cruel et se permettant des petits commentaires sarcastiques visant à souligner son mécontentement, masquant à peine son inquiétude. En effet, les années ont marqué le justicier qui ne retient plus ses coups, ne se soucie que peu ou pas de la vie des criminels se mettant sur sa route. S'il ne tue pas directement de sang-froid, il ne se gêne pas pour exploser un véhicule, sans aucune considération pour les criminels qui s'y trouvent. Extrême dans la violence, il l'est tout autant dans ses raisonnements, et la séquence d'ouverture du film nous montre parfaitement comment il en est arrivé là. On assiste à une nouvelle version du meurtre des parents de Bruce, alternée avec l'enterrement, la chute au fond du trou et les chauves-souris. Il s'agit du cauchemar que revit souvent Bruce, et il est suivi d'une des meilleures scènes du film : LE JOUR OU LE MONDE RENCONTRA SUPERMAN. Il n'y a rien de plus efficace dans le film que de nous remontrer la destruction de Metropolis du point de vue de Bruce Wayne. La fureur et la détresse qui l'animent sont palpables alors qu'il assiste à l'effondrement de la tour Wayne et à la mort de ses employés, de sa « famille » pourrait-on dire. Le regard lancé à Superman en dit long, Affleck est parfait. On nous suggère également que ce Batman plus âgé a vécu d'autres horreurs, tels que le meurtre de Robin par le Joker ou l'incendie du Manoir Wayne. Incapable de sauver ceux qu'il aime, sa haine ne cesse de grandir, cultivée par les manigances de Lex Luthor. Bien que le film nous présente les talents de détective du justicier, notamment sous le costume de Bruce Wayne pour des scènes qui renvoient à James Bond, Batman est tellement aveuglé par la colère et la haine qu'il ne voit pas qu'il est en fait manipulé par Luthor. Non, ce Batman brisé n'est pas digne de sa légende, mais il pourrait le redevenir.
Ce qui nous amène au personnage autour de qui tourne toute l'intrigue et qui divise à la fois nos héros et les fans : Lex Luthor. Jesse Eisenberg fait un travail remarquable pour nous offrir une version inédite du personnage qui évidemment ne peut plaire à tout le monde. On appréciera ou pas son maniérisme et sa folie qui aurait presque l'air d'être une déclinaison du Joker d'Heath Ledger, dans sa planification minutieuse et son manque total d'empathie, mais qui s'en démarque de par ses caprices et sa quête de pouvoir. Génie psychopathe, il a lui aussi vécu une enfance difficile, maltraité par son père, ce qui en fait le contrepoids parfait à Bruce Wayne, orphelin milliardaire qui aimait ses parents, et Clark Kent, orphelin élevé par un des parents adoptifs attentionnés. Si les traumatismes d'enfance de Bruce et Clark les ont mené vers le bien, Lex a pris le chemin inverse : vers le rejet total de la figure paternelle, et par extension, de Dieu. Selon Luthor, soit Dieu est tout-puissant et, vu les horreurs du monde, il n'est pas bienfaisant ; soit Dieu est bienfaisant, mais alors, vu les horreurs du monde, il ne peut être tout puissant. Pour Lex, le savoir c'est le pouvoir, et dans sa mégalomanie, il ne peut supporter l'existence d'un être au pouvoir tout puissant, s'apparentant à un dieu, qui lui rappelle sa condition de simple mortel vulnérable, le renvoyant à son enfance passée sous la domination tyrannique de son père. Il faut donc se débarrasser du père, c'est-à-dire de Dieu, c'est à dire de Superman. Il faut montrer au monde que Dieu n'existe pas ou que s'il existe, qu'il n'est pas bienfaisant.
Ne pouvant affronter lui-même Superman, il met en place un stratagème exploitant les faiblesses des deux héros afin qu'ils fassent le sale boulot à sa place. Ainsi, toutes les intrigues convergent vers le combat entre deux hommes brisés et manipulés tels des pantins par un gamin diabolique en quête de pouvoir. Les motivations de Luthor n'apparaissent pas toujours clairement, enfouies sous ses répliques pleines de métaphores et de références mythologiques ou historiques faisant état à la fois son grand intellect et de sa vision perverse et tordue du monde. A Batman il donne les outils pour tuer Superman et à Superman, il demande la tête de Batman en échange de la vie de sa mère. Peu importe l'issue du combat, Luthor gagne. Soit il prouve que Superman n'est pas un dieu si Batman gagne, soit il prouve que Superman n'est pas bienfaisant s'il tue Batman.
Malgré son plan parfait, un détail a échappé à Luthor, et ce détail va tout changer. C'est ce détail qui apporte au film son âme et son cœur et qui devrait être célébré et plutôt que critiqué. Ce détail c'est un mot, un prénom : Martha. On peut critiquer beaucoup de choses dans ce film, mais lui refuser sa dimension émotionnelle est injuste. Les mères de Bruce et Clark ont le même prénom. Et c'est ce seul prénom qui retient la main de Batman au moment d'en finir. L'instant où il réalise que celui qu'il prenait pour un monstre a bel et bien une mère, que cette mère est prise en otage, en danger de mort, et qu'elle s'appelle Martha. On pardonnera le manque de subtilité du montage qui nous propose un flash-back pour que tout le monde comprenne bien l'importance de ce prénom pour Bruce. Que Batman ait l'opportunité de sauver Martha résonne comme une seconde chance, comme la rédemption dont le justicier avait besoin : « Martha ne mourra pas ce soir. »
Ainsi, les femmes sont également placées au centre de l'intrigue, que ce soit en tant que mère, compagne ou amazone, toutes ont leur rôle à jouer dans ce conflit, et pour cause : Luthor utilise à son avantage le principe de la demoiselle en détresse, permettant une variation intéressante autour de ce thème, puisqu'à chaque fois que Lois ou Martha sont en danger, c'est que Luthor l'a voulu pour faire intervenir Superman. A noter également que Lois a droit à sa propre intrigue permettant de faire le lien avec les manipulations de Luthor, et, même si elle aurait pu être évitée, on ne boudera pas notre plaisir devant l'apparition de Wonder Woman, guerrière amazone sortant de l'ombre pour prêter main forte aux héros tout juste réconciliés pour faire front contre Doomsday, abomination kryptonienne créée par Luthor, prétexte à rallier la sainte trinité de DC derrière une cause commune.
Le sacrifice de Superman est l'ultime preuve de sa bienveillance à l'égard des humains et de son appartenance à ce monde. Le parallèle biblique est évident, appuyé par la promesse d'une résurrection qui arrivera à temps pour lutter contre une nouvelle menace venant des étoiles et contre laquelle Batman, le justicier solitaire, en appelle à l'union. L'une des conséquences de cette fin tragique est la prise de conscience de Batman, reconnaissant ses erreurs et son égarement, avouant ne pas avoir été digne de Superman et étant prêt à changer, persuadé qu'il y a finalement dans ce monde des hommes bons qui, comme lui, peuvent et doivent devenir meilleurs. L'aube finit ainsi par arriver après la plus noire des nuits et l'espoir est bien le mot de la fin.
En bon chef d'orchestre, Zack Snyder multiplie les plans mythiques à la composition minutieuse lorsqu'elle ne se perd pas dans l'accumulation des effets spéciaux. Le style visuel du réalisateur se prête parfaitement au genre, on le sait depuis longtemps, et il compose à nouveau des tableaux inspirés par les images cultes des comics. La photographie est somptueuse et les scènes d'action logiquement spectaculaires.
La musique de Hans Zimmer et Junkie XL est à la fois massive, épique et lyrique, accompagnant les tableaux de Snyder et leur donnant davantage d'impact, tout en offrant à chaque personnage un thème à la hauteur de leur démesure. On retiendra particulièrement les chœurs apportant une dimension d'opéra à l'ensemble, le violoncelle électrique accompagnant l'entrée en scène remarquée de Wonder Woman ou encore les violons stridents aux allures de mauvais présage biblique. Tout comme le film, les compositeurs ne manquent pas d'ambition et apportent un plus indéniable à l'ensemble.
Batman v Superman : L'Aube de la Justice est un film spectaculaire dont le trop plein d'ambition nuit à sa cohésion et masque quelque peu la richesse de ses personnages et sa portée émotionnelle au profit d'un objectif plus grand. Si l'on peut regretter ce choix, il serait dommage de condamner l'ensemble du film qui présente d'indéniables qualités.
EDIT : La version longue de 3h apporte davantage de cohérence à l'intrigue.