Pendant les années 60, la guerre à distance entre les USA et l'URSS autour de la conquête spatiale bat son plein afin de déterminer laquelle des deux nations serait la première à marquer l'Histoire. Réussir un exploit significatif dans l'Espace et le clamer devant la planète entière est une affaire d'Etat des plus importantes, la plus prioritaire de toutes.
Alors que tous les médias américains demeuraient focalisés sur les stars absolues qu'étaient devenus les astronautes, héros de la nation adoubés par le grand public, alors que les nouvelles attendues des grosses têtes de la NASA, ces ingénieurs respectés pour leur intelligence, travaillant d'arrache-pied pour réussir à planifier dans les temps des missions extrêmement périlleuses, étaient scrutées dès leur sorties, tout ce monde passait outrageusement au travers de ces femmes, afro-américaines de surcroit qui y ont participé mais dont personne ne veut entendre parler. Il ne s'agit guère de modestes employées de service qui ont juste eu un rôle annexe, mais bien de têtes pensantes expertes en mathématiques, extrêmement douées pour le calcul. Capables pour certaines de résoudre des problématiques complexes au point de laisser dubitatifs bon nombre d'hommes forts de l'agence spatiale la plus réputée au monde. Leur contribution a été cruciale dans la réussite des missions majeures, notamment le lancement de Friendship 7 dont il sera en partie question dans ce film.
Plusieurs dizaines d'années plus tard, de toutes ces femmes on ne retiendra aucun nom. Les hommages à leur égard ont dû être tellement anodins qu'ils sont tombés un à un dans l'oubli et les quelques articles les mentionnant n'ont tellement pas trouvé de public qu'ils ont fait figure de fait divers sans plus. À cause de la ségrégation en vigueur, cette affaire a été passée sous silence au profit de parties prenantes qui n'ont pas manqué de saisir l'occasion pour s'approprier sournoisement leur mérite.
"Les Figures de l'ombres" vient outrepasser tout cela en rétablissant l'ordre des choses. Il met à l'honneur parmi ce groupe de femmes trois protagonistes, les plus éminentes, à travers une histoire largement inspirée de la réalité. Remarquablement interprétées par les actrices en vedette, elles incarnent un modèle de courage, d'abnégation malicieuse et d'entêtement proactif pour la bonne cause. Leur lutte est basée sur le travail acharné, le sérieux, l'efficacité mais surtout une forme de soumission qui maquille véritablement une révolte pacifique, contre un système raciste, prohibitif envers d'aussi grandes ambitions venant de "simples nègres". Là où une bonne partie de cette communauté oppressée tende vers la violence pour attirer l'attention, fait pression pour accélérer les changements, ces femmes jouent la carte de l'apaisement et font preuve d'un patience à toute épreuve. Là où les leaders des mouvements clament haut et fort leurs droits, elles optent pour la suggestion, manifestent implicitement leurs désaccords sous forme de sous-entendus. Chacune à sa manière, chacune suivant ses traits de personnalité, elles ont réussi à contourner habilement les obstacles, pour défier une société qui n'est absolument pas prête à soutenir la moindre réussite des afro-américains. Peu encline voire parfois opposée à leur épanouissement, qui plus est donne peu de crédit à la gente féminine sur des sujets aussi complexes, aux enjeux aussi forts, elle se heurte à des stratagèmes astucieux, délicieusement matérialisés à l'écran, la forçant à œuvrer vers l'établissement d'une justice sociale.
Ce film est une initiative intelligente pour sa mise en avant efficace d'un ensemble de valeurs sous un angle inédit. Un témoignage utile d'une réalité qui n'aurait jamais dû être à ce point bannie de la mémoire collective. Cette entreprise louable qui ne peut être qu'acclamée, n'a pas fait eu besoin de faire trop de calculs pour nous rappeler qu'accepter nos différences au lieu de les stigmatiser est le meilleur gage de succès, elle a juste procédé à une démonstration suffisante et logiquement implacable.