La version de Liv Ullmann, se veut la plus fidèle possible au texte initial (l’affrontement du trio), malgré quelques coupes et une transposition de l’action de la Suède en Irlande. Très peu de fantaisie d’adaptation donc, et c’est dommage. « Mademoiselle Julie » est une tragédie naturaliste où se joue en une nuit (celle de la Saint-Jean fête populaire en Suède où les jeunes gens mettent à l’épreuve leurs relations amoureuses) un véritable tsunami affectif entre Julie, John et Kathleen, entaché de rapports de forces dominant/dominé en constante évolution. Si quelque 125 ans après, le texte conserve son incroyable violence et intelligence, la scénographie (théâtre ou cinéma) ne peut reprendre la base classique au risque d’ennuyer, car trop éloignée de nos préoccupations contemporaines. C’est dans ce sens que le metteur en scène allemand Thomas Ostermeier s’est dirigé en 2013 avec sa création « Miss Julie » (qui est vraisemblablement ce qu’on a produit de mieux à ce jour) adaptant le texte et le situant dans la Russie de Poutine.
Le clarissime est donc le principal défaut de ce film. Il aurait fallu concentrer l’action (la caméra s’appesantit souvent) et dynamiser les temps forts du texte en marquant l’âpreté des relations autrement qu’en champs et contre-champs. Ce choix conventionnel confère au film un côté trop théâtral, certes intentionnel chez Ullmann, mais qui au final est pesant.
D’autant plus, que le film possède d’indéniables atouts par ailleurs, à commencer par les acteurs. Ce trio infernal avec Colin Farrel, (dont on se dit en voyant son interprétation brillante ici qu’il a raté une partie de sa carrière ces dernières années), Samantha Morton (toute en subtilité) et, plus nuancé cette fois, Jessica Chastain (un peu trop maniérée et vulgaire, là où elle devait être triviale) nous embarquent et surtout nous convainquent. La direction artistique est elle aussi d’un très haut niveau. Mikhaïl Krichman éclaire le film à l’égal d’un Sven Nykvist. Le choix du décor (avec sa gigantissime cuisine, véritable scène de ce théâtre du quotidien) et l’illustration musicale omniprésente (même si elle est convenue) sont parfaits.
C’est donc un manque de relief évident de la mise en scène, plus encore la non appropriation du texte par Ullmann (où elle aurait pu habilement contrer la misogynie de Strinberg par exemple) qui plombent cette œuvre. Et si l’ombre de Bergman plane sur le film, Ullmann ne parvient pas à retrouver ni l’acuité du drame social, ni le sens du passionnel passionnant du grand maître suédois.