Quelques minutes après le visionnage (plus qu'éprouvant), on va dire que je portais pas forcément le film dans mon coeur. J'avais conscience d'avoir assisté à une oeuvre unique, seul le dégoût et la crasse restaient en tête. Après plusieurs heures, je revois mon jugement à la hausse car s'il est vrai que le film est long, trèèèèèès long, dégueulasse, difficile à comprendre, il propose quelque chose que peut de films se targuent de posséder. Une identité.
Parce que ce film est, qu'on l'apprécie ou non, une oeuvre d'art cinématographique dans tout ce qu'il y a de plus pur. Aucune musique extra-diégétique, très peu de dialogues intelligibles, seulement la puissance du visuel et du sonore pour 180 minutes au sein desquels le spectateur ne peut pas rester indifférent, il est traîné malgré lui dans la boue et qu'il le veuille ou non, il fait partie de cet univers infernal pendant 3 heures.
*Il est difficile d'être un dieu* est un film sensitif, il est impossible de le regarder comme on regarderait un autre film, tout a été fait pour toucher le spectateur et même si la nausée est le sentiment prédominant, il est difficile de rester passif à sa vision.
Le film est tiré d'un roman des frères Strougatski racontant l'expérience d'une vingtaine de scientifiques envoyés sur une planète lointaine sur laquelle les humains sont restés bloqués au moyen-âge et, à cause d'une chasse aux scientifiques et aux artistes, n'a jamais pu rentrer dans la Renaissance. Seulement, ces vingt scientifiques, de part leur avancée technologique, sont rapidement vus comme des divinités. Le roman comme le film ont pour personnage principal Don Rumata, l'un des scientifiques chargé d'observer la planète sans interférer avec elle. Le roman est évidemment une parabole au fascisme, à la dangerosité de l'absence d'art pour un peuple et aux méfaits d'un régime totalitaire.
Le film choisit de mettre de côté tout ce que le roman avait d'intelligible pour se concentrer sur les conséquences d'une telle société. Résultat, la caméra est collée aux personnages de même que les personnages sont collés les uns aux autres dans des cadrages surchargés de détails, grouillant de vie, de mort, de mouvement, de déjections, de même que la composition sonore agresse continuellement le spectateur et donne plus d'une fois l'envie de couper le film pour respirer un tant soit peu. La profondeur du champ est donc continuellement bouchée par les personnages qui agressent le cadre, impossible de déceler un horizon, un quelconque espoir d'amélioration dans une société où les personnages déambulent tels des aveugles, parlent pour parler sans jamais véritablement échanger. Le film choisit donc de ne pas proposer d'art en dehors de son propre médium qui est le cinéma, d'où l'absence de musique et de dialogues intelligibles.
L'acteur principal incarnant Don Rumata est exceptionnel, difficile de décerner où s'arrête le jeu et où commence l'improvisation, si toutefois improvisation il y a. Une chose est sûre, j'ai rarement été aussi fasciné par un film que dans sa première heure, à travers des mouvements de caméra et des plans séquences extrêmement maîtrisés, dans une ambiance plus vrai que nature.
Malheureusement, après une heure et demi de film, on a compris le principe et la seconde heure et demi ne semble être qu'un recyclage proposant quelques bonnes scènes dans un ensemble de longues séquences, encore et toujours aussi dégueulasses. Je regrette un peu le fait que le film se limite à son concept de base, très intéressant, mais ne justifiant pas selon moi les 3h de film en dehors du fait d'enfoncer le clou dans les yeux et les oreilles du spectateur, déjà pas mal éprouvé après 90 minutes. De plus, les comportements des personnages sont tellement à l'opposé du mode de vie du spectateur occidental qu'il lui est impossible de se raccrocher à quiconque pour s'identifier à lui. On est relégué en tant que spectateur mais tout de même pris en otage de part la dimension perceptive du film, le tout étant extrêmement déstabilisant.
*Il est difficile d'être un dieu* est donc un film loin d'être accessible, loin d'être plaisant à regarder, mais somme toute intéressant artistiquement parlant de part les choix qu'il propose et le jusqu'au boutisme couillu du son réalisateur, malheureusement décédé avant la fin de la post-production.
A voir (pour un public averti).