Le film de Lars Kraume est à mettre en parallèle avec « Le Labyrinthe du silence », sorti il y a un an et demi. Plus finement, on pourrait dire que « Fritz Bauer, un héros allemand » le complète et surtout le précède puisque que chronologiquement, il se termine là où commence le film de Giullio Ricciarelli. D’ailleurs, si j’ai été attentive je crois bien qu’à la toute fin du film, le personnage de Fritz Bauer évoque le procès, sujet du second film. Tout cela pour dire que la difficile et douloureuse dénazification de l’Allemagne est un tabou historique qui est en train de tomber outre Rhin. L’Allemagne a fait l’examen de sa conscience en ce qui concerne la Guerre, elle commence à étudier l’après-guerre avec un œil moins naïf et plus critique, ces deux films sortis en moins de 10 mois en sont la preuve. Il est ici question de la traque d’Adolf Eichmann, de sa capture en Argentine par le Mossad. Tout cela est connu mais ce qui l’est moins, c’est le rôle de ce procureur allemand, homme de l’ombre, pugnace et épris de justice, qui est allé jusqu’à trahir un pays qu’il aime profondément pour aider, à sa manière, à le sauver de lui-même. Il y a beaucoup à apprendre du personnage de Bauer, incarné avec beaucoup de justesse par l’acteur Burghart KlauBner. Il incarne un homme solitaire (on comprend pourquoi il vit seul et ne fait confiance quasiment à personne vers le milieu du film), physiquement fatigué, mais à la volonté de fer. Il ne s’agit pas pour lui d’obtenir vengeance, il s’agit pour lui de débarrasser son Allemagne d’un cancer qui a métastasé et qui s’est infiltré partout. Le scénario le montre sans ambages, les anciens SS sont partout en 1958, dans l’administration, chez Mercedes, dans la Police, dans la Justice, au Gouvernement aussi. Ils se cachent à peine, se couvrent entre eux, et tous ont à perdre à voir Eichmann déballer tout ce qu’il sait dans un box des accusé allemand. Dans ce cas de figure, voir Bauer commettre un acte de Haute Trahison en contactant le Mossad ne parait pas, à nos yeux d’Européens de 2016, un acte si terrible. Là où le scénario est habile, c’est qu’il remet très bien dans le contexte de la guerre froide le combat de Bauer. C’est la Guerre Froide, autant que les anciens SS, qui empêchent l’Allemagne de se dénazifier. C’est une petite leçon d’histoire que ce film, en toute modestie, une petite leçon qui nous répète qu’il y a des combats qui doivent se mener, en dépit du contexte. Historiquement, on sait bien que les autres gros « cerveaux » (je mets des guillemets parce que bon…) nazis qui ont échappés à Nuremberg sont passés entre les mailles du filet, et on sait aussi grâce à qui. Cela rend la capture d’Eichmann importante, parce que c’est un acte unique (et historiquement fondateur pour l’état d’Israël). Les seconds rôles du film sont très écrits, en particulier le jeune collaborateur de Bauer incarné par Ronald Zehrfeld. Sa vie privée disons… compliquée est évoquée longuement sans que l’on comprenne bien l’intérêt. Ce n’est qu’à la fin du film que l’on saisit qu’il y a là aussi un message qui n’est pas tellement différent de celui de Bauer, il y a des combats à mener, des combats difficiles et obscurs, mais qui valent la peine. Il n’y a rien à redire au casting allemand, constitué d’acteurs qui me sont évidemment inconnus. La reconstitution de l’Allemagne de l’après guerre souffre du même « défaut » que dans « La Labyrinthe du Silence » à savoir que c’est moche, c’est gris, il n’y a jamais un éclair de soleil et il pleut très souvent ! C’est surement voulu pour accentuer le côté austère du combat de Bauer, mais le problème c’est que cela rend le film aussi austère et froid qu’un épisode de « Derrick » ! C’est d’ailleurs le seul bémol que j’accorderais au film de Lars Kraume, il n’est pas très attrayant dans sa forme : peu de musique, une photographie très grisâtre, une intrigue sans aspérité (pas de suspens, pas de scènes qui sortent du lot), une affiche et un titre sans imagination. Faudrait quand même faire attention, à force de vouloir faire sérieux et sobre, à ne pas perdre le public en route. Le sujet est intéressant, important même, mais je ne sais pas s’il saurait se suffire à lui-même pour le public de 2016. Faire un film plus facile d’accès aurait eu le mérite de faire venir à lui un public moins convaincu d’avance par l’importance du sujet et le gout pour l’histoire contemporaine. Reste que moi, toujours passionnée par ce genre de sujet et par l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale et ses conséquences, j’y ai trouvé mon compte, sans m’ennuyer et en apprenant des choses que j’ignorais sur un personnage qui méritait un peu de lumière.