Que voilà un bien étrange film mais néanmoins très intéressant. Si le début nous laisse croire à une histoire énième histoire d’attirance entre une élève et son professeur, le récit nous prend de court avec un entretien d’embauche qui va se terminer de façon plus que surprenante. On se dit alors avec joie que finalement nous allons plutôt assister au récit d’une double vie et que, tout en continuant ses études de médecine, l’héroïne va exercer dans l’ombre pour empocher un petit pécule un peu comme le personnage Blackjack du manga éponyme d’Osamu Tekuza. Mais encore raté, on nous colle en pleine tête un évènement terrible pour la petite Mary et on se dit qu’on est finalement devant un « rape & revenge » moderne…et encore une fois, on n’est pas tombé juste : la grande force de "American Mary", c’est d’arriver à mêler divers genres communs au sein de son récit tout en proposant une approche originale. Il faut avouer que le milieu qui nous est dépeint est assez méconnu du grand public : le monde underground de la modification corporelle nous ouvre ses portes et nous permet d'enrichir notre connaissance avec des pratiques insolites et assez lugubres (tongue-splitting, implants sous-cutanés, apotemnophilie…) tout en nous présentant divers personnages hauts en couleurs aux goûts très étranges, ce qui donnera lieu à d’intéressantes scènes à mi-chemin entre entre trouble/gêne et amusement/rire (
j’ai particulièrement apprécié le personnage de Beatress, interprétée par la superbe Tristan Risk, sorte de réincarnation vivante de Betty Boop ; ainsi que celui de Ruby, incarnée par la méconnaissable Paula Lindberg, une sorte de poupée Barbie grandeur nature
). Mais tout aussi étrange que puisse être ce milieu, il sera pour Mary une révélation en matière de vocation professionnelle (
et aussi lui permettre facilement de préparer sa petite vengeance personnelle
) ainsi qu’une affirmation en temps que femme, ce qui est tout à fait normal vu que toute sa vie venait tout juste de s’écrouler avec le terrible « évènement ». D’ailleurs, ce traitement de l’histoire axé sur l’émancipation féminine n’est pas sans rappeler le travail de Lucky McKee ("May", "The Woman", "All Cheerladers Die") : tout comme l’héroïne du premier film de Mc Kee, Mary est une jeune femme troublante à la beauté glaciale et qui se révèle être tout aussi touchante et attachante qu’un brin psychopathe. En plus, le fait d’avoir choisi la très jolie Katharine Isabelle (qu’on avait découverte dans la trilogie "Ginger Snaps") ne fait qu’augmenter l’intérêt que l’on a pour le personnage. Pour leur premier film, les jumelles Jen et Sylvia Soska ne déçoivent pas en nous livrant un intriguant film hybride mélangeant les genres (drame, thriller, rape & revenge, humour noir, horreur) au sein d’un univers glauque peu conventionnel où se croisent personnages atypiques et fantasmes excentriques. Réussissant à instaurer une atmosphère autant sexy que malsaine base de véritables freaks, d’excisions réalistes et de déviances nocturnes, ces frangines frappadingues parviennent à nous captiver jusqu’au bout, parvenant même à nous délivrer un message teinté de liberté et de féminisme (les hommes du film sont tous plus ou moins des salauds). Dramatique, touchant, glauque, rafraîchissant, angoissant, drôle, "American Mary" est une belle surprise qui nous démontre une nouvelle fois que les apparences sont trompeuses et que les monstres ne sont pas forcément ceux que l’on croit.