Comment réinventer une icône ? Logiquement, c'est une question dont la réponse tient de l'évidence : saisir l'essence et se la réapproprier. Il ne s'agit pas de l'intellectualiser en premier lieu, mais de la ressentir. Gros blockbuster, film d'auteur, gros blockbuster d'auteur, peu importe, le distinguo étant passablement superficiel. Les moyens doivent d'abord servir une vision. Et cette vision doit s'échiner à réinvestir non pas un personnage mais un univers pour le singulariser. Chez les vigilantes, Batman conserve une indiscutable supériorité. De Tim Burton à Christopher Nolan en passant par la série animée de 1992 et les jeux vidéos Arkham, le Chevalier Noir a le privilège d'avoir été servi par de véritables démiurges. Des interprétations incomparables mais parfaitement complémentaires. À l'approche d'une nouvelle itération, on peut légitimement se demander si tout n'a pas déjà été fait. Spécialement dans un contexte où l'exploitation de la manne super-héroïque débouche sur des relectures en pagaille, des univers parallèles, des comebacks, des crossovers,...Une simple réalité : plus on presse les licences, moins elles ont de jus à offrir. Et si The Batman faisait office d'exception ?
Matt Reeves n'a pas l'aura d'un Christopher Nolan, il n'a pas le style d'un Tim Burton ou d'un Sam Raimi, il n'a pas non plus la popularité d'un James Gunn. Constat lucide, pourtant bien injuste pour celui qui a dynamité les codes du film de Kaiju (Cloverfield) et surtout offert l'un des meilleurs reboots avec La Planète des Singes. Discret, humble, Reeves à également l'élégance de ces artisans qui s'appliquent à chaque projet. Pour ceux qui avaient encore des doutes, ce nouveau long-métrage en est peut-être la preuve la plus éloquente. Certains voyaient déjà The Batman comme la prolongation au Joker de Todd Phillips. Ce qui est vrai et faux. Contrairement à Phillips qui récitait pas mal ses références, elles sont ici parfaitement digérées pour en restituer l'ambiance. Le mot est lâché, et c'est bien ça qui fait la différence : l'atmosphère. De la tonalité à la photographie en passant par le rythme, la musique (Michael Giacchino confirme qu'il est l'un des compositeurs les plus impressionnants en activité) ou le choix de son antagoniste, on est dans un pur film noir. Majoritairement nocturne, pluvieuse et sale ; Gotham est un cloaque, une ville qui pourrit sur pieds, bouffée par la mauvaise conscience...et la vengeance. Qui est d'ailleurs le surnom attribué à l'Homme chauve-souris, personnification rêvée d'une cité aux prises avec sa double-identité, à la fois symptôme et remède (?).
De manière inattendue, Matt Reeves embrasse l'héritage de ses prédécesseurs sans jamais les citer, tout au plus peut-on discerner quelques échos. L'essence est la même mais la bête ne l'est pas (un autre surnom utilisé). C'est précisément l'idée, vous faire éprouver autre chose. Les 180 minutes de projection n'ont rien d'un caprice, chaque minute est utilisée pour caractériser, détailler et s'imprégner. Ce qui se ressent également dans les scènes d'action, toutes réussies car mues par ce même besoin de les faire endurer à ses personnages et à son spectateur. De manière expressionnistes comme frontales, dans les dialogues comme les moments de réactions/suspensions. Les confrontations marchent car elles jouent sur la physicalité et non sur d'interminables chorégraphies entre demi-dieux. Dans un autre style, la course-poursuite fonctionne admirablement bien pour les mêmes raisons. Rien ne semble forcé ou excessif, pas de découpage à la tronçonneuse, la caméra est harnachée aux ailes des véhicules pour rendre compte de leur vélocité ou de leur puissance. De même que les accidents sont bien plus féroces qu'à l'accoutumée. Tout concourt à faire de The Batman une œuvre rude et poisseuse mais dont on peut également extirper une part de romantisme, qui passe évidemment par une relation Batman/Catwoman plus émotionnelle que les versions de Burton ou Nolan.
C'était l'attente n°1, le casting. Sachez qu'il est au diapason de ce que propose Matt Reeves. Robert Pattinson se distingue avec un jeu minimaliste qui va à la perfection avec la personnalité troublée et troublante de ce Wayne/Batman asocial jamais loin de franchir la ligne. Zoé Kravitz se montre tout aussi assurée, sa Catwoman est probablement la plus tendre proposée sur grand écran. Jeffrey Wright s'impose naturellement dans les pompes d'un Gordon placide. John Turturro réussit à inquiéter sans jamais se risquer au cabotinage. De ses dix minutes de présence, Andy Serkis en tire une relecture d'Alfred assez fraiche. La plus belle surprise du casting en ce qui me concerne, c'est Colin Farrell, méconnaissable en Pingouin. Il est à la fois répugnant et pittoresque, ce que le comédien joue à la perfection (il n'est jamais meilleur que dans ces rôles de losers magnifiques). Et Paul Dano, grand méchant de cette relecture ? Disons qu'à l'instar du film, c'est ambivalent.
The Batman dure 3 heures. C'est beaucoup, surtout pour un film d'ambiance. Comme je l'ai dit plus haut, Matt Reeves utilise chaque minute pour ancrer son adaptation, lui donner du poids, de la texture, de la crédibilité. Ce qui fonctionne, indéniablement. En revanche, le fin mot de l'histoire n'a rien de singulier. Pour ainsi dire, aucune des énigmes du Riddler (très inspiré par le cinéma de David Fincher) ne surprendra dans ce qu'elles pointent ou annoncent. Ça ne les rend pas moins cruelles, ou pertinentes (la dernière partie devrait vous rappeler quelque chose survenu en janvier 2021 aux U.S.A), néanmoins la destination rappelle sensiblement les thématiques à l'œuvre chez Nolan ou dans le Joker de Todd Phillips. Tout ça pour ça ? Pas loin. De fait, la durée atteste que Reeves a pu mettre tout ce qu'il avait à dire. En réalité, ce qu'il montre est bien plus intéressant. Raccourci d'une étape ou deux, on tenait un spectacle de 2h30 bien mieux dosé.
Quoiqu'il en soit, la Warner a misé sur la bonne équipe pour redonner de belles couleurs (noires) à Batman. On sent une liberté de mouvement très rare, à l'exception d'une séquence annonciatrice ni très efficace ni nécessaire. En dehors de ce petit élément, cette relecture est bien celle de son réalisateur, à n'en point douter. La direction artistique s'élève bien au dessus de ce qu'on était en droit d'espérer. Par conséquent, on peut le dire : Batman demeure l'exception à cette industrie de la boucle inarrêtable. Aussi chaotique qu'ait pu être la gestion du studio, on ne peut que le féliciter d'avoir su apprendre de ses erreurs en remettant les auteurs au centre de leur stratégie avec The Suicide Squad et The Batman.