Le couple de cinéastes belges, Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth, s’attaque avec La Cinquième saison au périlleux exercice du film apocalyptique. Un genre qui charrie aussi bien des œuvres fascinantes, comme chez Ferrara, que des blockbusters bien trop insipides. Comme souvent, c’est le fantastique qui fera basculer le film dans l’impitoyable dégringolade du chaos : le Printemps n’arrive pas ! Un scénario original et ambitieux qui nous fait rentrer dans une élégie bucolique, un poème sombre et mortifère. Ce dérèglement naturel est bel et bien la conséquence de l’action humaine, « nous jouons avec les saisons » dit Pol. Et si l’homme, à force de façonner la Terre a son monde de vie, l’avait tuée ? L’homme se prend pour un Dieu tout puissant modifiant la Nature et son cycle au gré de ses envies et des rendements agricoles qui en découlent. Et c’est d’ailleurs de manière biblique que la Nature lui répond : les abeilles ne voleront plus, les oiseaux choiront sur le sol, les poissons morts descendront les rivières et les arbres tomberont. Les cinéastes ont le génie de filmer non pas en se basant sur une temporalité humaine mais plutôt sur celui plus long et chaotique de la nature. Ils choisissent l’ellipse pour mettre en lumière avec plus de force les changements et les variations du comportement humain. C’est lentement, et donc avec virulence, que le spectateur s’enfonce dans la spirale mortifère de la Nature. Jamais La Cinquième Saison ne tend vers les faiblesses du genre apocalyptique : jamais ils ne se tournent vers l’action facile, et jamais ils ne cherchent une réponse. Leur film n’est aucunement une satire bien-pensante sur l’écologie. La Cinquième Saison est une œuvre sur l’homme et sur la mise en place de son instinct de survie tant animal que social.
La Cinquième Saison est aussi une fable rurale dans laquelle des personnages types forme à l’échelle d’un village un prototype de microsociété. C’est la crise qui met en place les personnages : les Epiciers deviendront les puissants Bourgeois qui gagnent presque un droit de vie ou de mort, Pol (Sam Louwyck) sera le sage et l’étranger – un messie donc avec tout ce que cela implique –, tandis qu’Alice et Thomas seront l’innocence. Une innocence qu’ils acquièrent dès l’ouverture du film. Alice, l’impressionnante révélation Aurélia Poirier, et Thomas (Django Schrevens) répondent en écho aux saynètes mettant de manière absurde le récalcitrant coq Fred. Si l’homme banal force une nouvelle fois la nature, eux se mêlent au chant de la nature partageant leur amour par des cris d’oiseaux. C’est au cœur même de la protectrice forêt qu’ils gardent enfoui leur secret, un amour passionnelle que le couple de cinéaste sublime par une scène de baiser d’une sensualité et d’une beauté renversante. Cependant, face à l’horreur, la pureté peut agir de deux manières : tenter d’incarner un sauveur comme Thomas, ou sombrer face à la nature de l’homme comme Alice. Cette dualité renforce encore plus l’osmose qui les unit, bien que l’explosion soit inévitable.
La Cinquième Saison, Peter Brosens, Jessica Hope WoodworthPeter Brosens et Jessica Hope Woodworth questionne l’homme à partir de ses contradictions les plus visibles. L’homme est-il véritablement un animal civilisé ? Et ce statut est-il inébranlable ? Dans le village de La Cinquième Saison, aucun habitant ne réfléchit à la responsabilité qu’il pourrait avoir dans la catastrophe. Faible par nature, l’homme préfère s’adonner à la Xénophobie prenant pour responsable Pol et son fils Octave dont le seul tort est d’être arrivé peu de temps avant le misérable avènement. Ce n’est pas seulement la Nature qui meurt chez les cinéastes belges, c’est l’homme et la société fragile qu’il a mise en place. Le désarroi et la pauvreté l’amène d’ailleurs à entreprendre un retour en arrière dans l’histoire de ses croyances. N’ayant toujours pas l’idée de regarder sa faute en face, l’homme se retourne alors vers le divin. D’athée, la famille d’Alice se replonge subitement dans la religion accrochant le Christ au mur de la salle à manger et récitant les bénédicités. Sans réponse d’un Dieu, c’est ensuite vers l’animisme que le village se tourne cherchant un pardon en bénissant les arbres. Toujours isolés du ciel, c’est le paganisme qui finit par s’imposer amenant l’homme aux confins de sa violence. Par le paganisme, l’Homme replonge dans son caractère sectaire et démarre une perte de son identité. Les masques signifiant en plus de l’appartenance, le renoncement à une identité propre pour une nouvelle collective. L’homme redevient faible, préférant agir dans le nombre et l’anonymat. C’est la bestialité, la folie et la violence humaine que font ressurgir Brosens et Hope-Woodworth. Les réalisateurs clôt d’ailleurs le film sur le passage d’un troupeau d’autruches, un animal à l’image de ce que l’homme est devenu : un animal, au sens sanguinaire du terme, ne vivant que pour le groupe et renonçant ainsi à sa liberté et à sa pensée, et ainsi à ce qui fait de lui un homme.
La Cinquième Saison, Peter Brosens, Jessica Hope WoodworthVous avez donc compris que La Cinquième Saison dispose d’un scénario brillant et évolutif sans aucun temps mort s’enfonçant toujours plus profondément dans les tréfonds du comportement humain. Mais à cela s’ajoute une des mises en scène les plus ambitieuses et abouties de l’année. Le duo belge amène un lyrisme sombre qui manquait cruellement au cinéma de plus en plus réaliste et social. Ils offrent même au spectateur des pauses visuelles élégiaques dans lesquelles l’utilisation du ralenti n’a jamais donné tant d’émotions. Ils extraient la beauté froide et morbide de la nature d’une manière époustouflante. Ils font de la caméra un allier scénaristique permettant de guider l’œil du spectateur vers les infimes changements qui bousculent le village. Les mouvements lents, presque imperceptibles – comme-ci c’était le vent, et donc la nature, qui regardait l’homme mourir –, se rapprochent de l’indicible comme lorsqu’ils découvrent les bocaux d’insectes, le moyen de survie d’Alice ou la mort de son père. Avec un découpage ingénieux du cadre, Peter Brosens et Jessica Hope Woodworth amène un cynisme sans complaisance. Jamais ils ne regardent leurs personnages de haut, ils semblent les suivre sans même être remarqué. La force du récit, c’est le rythme et il n’a été que peu aussi bien utilisé.
La Cinquième Saison, Peter Brosens, Jessica Hope WoodworthLa Cinquième Saison est un chef d’œuvre somptueux et intelligent. Il marque le retour d’un cinéma exigeant formellement livrant sans doute les plus belles images de l’année. Une œuvre impitoyable qui ne peut vous laisser de marbre.