S’il y a bien un cinéma qui est aujourd’hui prisonnier du devoir de mémoire, ou en tout cas largement lié à l’Histoire de son pays, c’est bien le cinéma allemand. Presque 25 ans après la chute du Mur de Berlin, le besoin de mémoire des Allemands sur les années RFA/RDA ne semble toujours pas s’être tari, pas plus que la mémoire des années Nazies qui continuent elles aussi d’être un peu plus réécrites chaque jour, parfois d’ailleurs à la lumière d’éléments justement enfouis dans une RDA qui a longtemps préféré garder jalousement sa propre mémoire.
Face à ce besoin absolument vital pour son pays, le cinéma allemand s’est donc depuis deux décennies largement mis au service de cette cause. Le fait qu’une grande partie de ses plus récents succès internationaux ait à voir de près ou de loin avec ces mémoires n’est donc pas vraiment une surprise, même s’il faut bien dire aussi que le film nazi s’exporte mieux que les films allemands faisant l’effort de parler d’autre chose et ne rentrant donc pas dans ce cadre certes important, mais étroit. A part le récent Oh Boy l’année dernière, pas beaucoup d’œuvres allemandes ne gagnent en effet le droit de parcourir le monde sans une référence à l’Holocauste ou à la police politique. Pas toujours si facile que ça d’être allemand.
Pour satisfaire ce devoir de mémoire, le cinéma allemand fut d’abord relativement démuni, l’horreur est toujours indicible, mais a depuis eu le temps de perfectionner un genre maintenant parfaitement rodé, poli et maîtrisé sur le bout des doigts : le drame historico-psychologique. La recette est maintenant presque toujours la même : une histoire qui fait froid dans le dos, de constants jeux d’ombres et lumière, des couleurs froides pour bien foutre le cafard, de fréquents flash-backs à l’image toute jaunie, une atmosphère musicale subtilement posée et puis, c’est utile aussi, d’excellents acteurs. De ce cadre le film allemand de mémoire ne s’écarte jamais vraiment, tout comme il ne commet jamais vraiment de faute de goût, l’objectif étant trop important pour se perdre en route. On pourra il est vrai juger très conventionnelle toute cette esthétique, par définition aussi superficielle qu’une autre, mais il y a aussi probablement du vrai dans ce désir de s’effacer devant son sujet : devant l’immensité de l’Histoire le cinéma n’est ici sans doute qu’un moyen, pas une fin artistique en soi, et il faut savoir aller droit au but.
On ne peut donc juger un film comme D’une vie à l’autre que dans ce contexte, restreignant forcément beaucoup toute liberté de mise en scène, de scénario ou d’interprétation. Tout ceci pris en considération, le long-métrage de Georg Maas est sans conteste une des plus brillantes réussites du genre et mérite tout à fait la plus grande attention du spectateur, qu’il soit ou non allemand et historien. Jouant parfaitement des codes déjà cités, D’une vie à l’autre fonctionne en effet comme un thriller implacable, d’autant plus efficace que la totalité de l’histoire n’est là pas forcément connue de tous.
Relativement impeccable d’un bout à l’autre (la rigueur allemande c’est quand même quelque chose), il refuse jusqu’à la fin les grandes effusions et les longues digressions pour laisser le spectateur presque seul face à la violence des implications de ce qu’il voit. Très intériorisé, extrêmement contenu, D’une vie à l’autre serait même presque trop laconique au vu de la violence symbolique qu’il agite, si tant est qu’on puisse être trop pudique.
C’est de toute façon ouvrir le débat de la légitimité même de ces films, qui ne peuvent que trahir en partie la mémoire qu’ils veulent honorer, subjectivité artistique oblige. C’est un débat que je n’ouvrirais donc pas et je préfère conclure sur la simple et banale pensée que D’une vie à l’autre est un film de très bonne qualité, qui devrait plaire à beaucoup d’entre vous.