Si le gros plan initial sur l’œil établit une filiation évidente avec le Blade Runner (1982) du même Ridley Scott, cette filiation est moins celle de deux univers de fiction que le partage de thématiques similaires. Au cœur des deux œuvres, il s’agit de la Création et de l’origine de la vie. Pourtant, elles l’abordent de façon différente : Blade Runner se place du côté des créatures et interroge ce qui fonde l’humain et le distingue radicalement de la machine ; Alien: Covenant (2017) épouse le point de vue des créateurs, proposant une suite de figures de pouvoir qui s’emboîtent et se recouvrent les unes les autres telle une poupée russe. La dialectique mise en place par le long métrage soulève d’entrée de jeu une question fondamentale, substrat théorique du film : qui a créé le Créateur ? Elle est explicitement posée par David à son maître lors du générique d’ouverture, et reste sans réponse. Du moins, cette réponse demeure insatisfaisante et mute en finalité de l’entreprise d’exploration spatiale. L’enjeu principal du long métrage vise alors à remonter aussi loin que possible dans l’évolution pour tenter d’appréhender la création pure, ce qui fait de David non pas un Prométhée mais un anti-Prométhée, soucieux de prendre le feu aux hommes pour lui redonner place au « Valhalla » et s’en rendre l’unique possesseur. Ainsi, le parcours de David consiste à tirer profit de l’immortalité de sa condition de création pour exploiter ses créateurs en les utilisant comme des hôtes. Hôtes que viendront coloniser les aliens. Dit autrement, Ridley Scott représente le retournement de l’intelligence artificielle contre les hommes dans un geste qui consiste à déchaîner les forces destructrices. Détruire pour mieux créer. Parce que toute création exige la destruction. Il faut choisir, indique David à Walter : « servir au Paradis ou régner en Enfer ». Le nihilisme du cinéaste, qui trouve ici son expression la plus rugueuse et extrême, engendre une imagerie crépusculaire qui, à l’instar de Blade Runner, confond les cultures, les cultes et les architectures en un ensemble uni, premier, primitif. Nous regretterons alors que ses séquences d’action tombent souvent dans la pulvérisation de plans illisibles montés à la manière d’un jeu vidéo, avec ses aliens numériques auxquels nous ne croyons guère. Le propos philosophique de Scott l’emporte quelque peu sur la qualité cinématographique en tant que telle. Reste une œuvre âpre et violente qui contemple le spectacle des passions humaines avec désintérêt, esquissant même, à terme, un petit sourire de cruauté.