Quel choc ! Un film d’une extrême dureté, surtout en regard de son millésime : 1975. Bien sûr, les puristes regretteront que "Le vieux fusil" ne fût pas tourné à Oradour-sur-Glane, puisque le scénario s’inspire du massacre qui a eu lieu là-bas, un massacre au cours duquel les nazis ont assassiné 642 victimes (hommes, femmes et enfants) et incendié le village. En effet, nous sommes à Montauban, en 1944, une région où les divisions Panzer venaient prendre leur repos, notamment à quelques kilomètres à peine au sud de Montauban, sur un site stratégique. Le film commence à l’hôpital de la préfecture du Tarn-et-Garonne, et j’ai pris un malin plaisir à reconnaître les lieux, constatant que le plan des rues n’a que très peu changé. Eh bien oui, "Le vieux fusil" a été tourné pas bien loin de chez moi. Ainsi on découvre de façon rapide le Pont Vieux de Montauban qui mène à l’ancien palais épiscopal devenu aujourd’hui le musée Ingres. L’hôpital, modernisé depuis, est toujours à la même place et ses murs d’enceinte sont toujours là. Ce qui frappe d’entrée, c’est l’ambiance de plomb qui pèse dès les premières images, avec cette musique de François de Roubaix qu’on entend dès lors que les troupes allemandes apparaissent à l’écran, comme pour annoncer le grand danger qu’elles représentent. Nous voyons d’ailleurs des soldats allemands marcher dans la rue devant des pendus, comme cela s’est réellement passé à Montauban même le 24 juillet 1944. L’ambiance est si palpable, si détestable autant pour nous que pour les protagonistes, que ces derniers choisissent parfois de mettre leur famille à l’abri, dans un village situé à une trentaine de kilomètres au nord-est de la ville, nommé Bruniquel, un village rebaptisé Hameau de la Barberie pour les besoins du film. Le cheminement montré entre les deux endroits n’est pas exact, et certaines portions sont même prises à l’envers, tout du moins en ce qui concerne le tracé des routes actuelles. J’ai dit que le cheminement n’était pas exact ? Hum ! Je pense que si, car la route dont certaines portions ont été prises à l’envers n’existait pas pour la bonne et simple raison que cette route était une ligne de chemin de fer, reliant la gare de Montauban-Villenouvelle (gare n'existant plus aujourd'hui) à Lexos, fermée (puis déferrée en 1955). On pardonnera aisément cette inexactitude, d’une part parce que cette petite erreur de reconstitution ne se voit absolument pas à l’écran, et d’autre part parce que les moyens d’alors ne permettaient sans doute pas de reconstituer le chemin de fer, ne serait-ce que sur une petite partie. L’intrigue va se passer principalement aux châteaux de Bruniquel et à ses alentours immédiats. Si jamais vous passez dans le coin un jour, faites une halte pour visiter ce bâtiment classé aux monuments historiques. Vous y apprendrez sa vraie histoire, plutôt intéressante, et vous y apprendrez que le puits que nous voyons dans le film n’est ni plus ni moins qu’un vrai-faux puits. En effet, il a été creusé au beau milieu de la propriété pour les besoins du film, le véritable puits n’étant pas idéalement placé selon la production. Mais surtout, le château échappe au pire lors de la scène de l’incendie, malgré les précautions prises : l’incendie a échappé au contrôle, faisant disparaître certains trésors picturaux, que les conservateurs du site s’efforcent de sauvegarder tels que, au même titre que les traces laissées par les flammes. La scène de l’incendie vous parait réelle ? Elle l’est ! D’ailleurs tout semble réel. Romy Schneider semble réellement amoureuse, et n’a jamais paru aussi belle. Son sourire, ses yeux, son visage, tout laissait transpirer un réel bonheur.
Une interprétation si éloquente, que même lors de la scène du viol, elle fut si crédible que même les figurants ont été mis très mal à l’aise.
Philippe Noiret retranscrit à la perfection cet envoûtement qu’il éprouve devant cette si belle femme. Il est l’incarnation parfaite de la bienveillance et le rôle de chirurgien qui lui a été octroyé lui convient à merveille. Dans ce film, il est la gentillesse incarnée, mais attention à l’eau qui dort ! Car c’est par l’intermédiaire de son personnage acculé dans les tréfonds douloureux de la haine et du désespoir que la notion de vengeance, de justice expéditive va être amenée, au prix d’une intrigue haletante, immersive, pleine de réalisme, et savamment mise en scène au gré des souvenirs des instants heureux de sa vie de famille. Je concède que certains spectateurs pourraient dire que ce film a vieilli, et qu’un traitement actuel lui aurait donné plus de rythme. Peut-être. Mais l’interprétation des deux acteurs principaux est telle que je ne suis pas sûr que le résultat soit aussi bon aujourd’hui, le cinéma français actuel n’étant pas ce qu’il était auparavant, même si il semble marquer un redressement qualitatif. Et puis ce n’est pas pour rien si Noiret a reçu le César du meilleur acteur pour ce rôle, et si "Le vieux fusil" a été césarisé comme étant le meilleur film de l’année… Tout est là, et les sous-titres sur les séquences parlées en allemand n’ont au fond que très peu d’importance : on comprend aisément les grandes lignes sans. Le spectateur adhère complètement à la cause de ce chirurgien qui n’a plus rien à perdre, le massacre de tout un village appelant à une révolte que nul ne peut soupçonner. Et franchement, si nous étions à la place du personnage principal, on se foutrait pas mal de ce que les nazis pourraient dire, quelle que soit la situation. Vous ne croyez pas ? D’autant plus que le chirurgien est pris au piège ! La marche arrière étant impossible, nous assistons à des scènes d’une grande cruauté, d’une violence rare, surtout pour l’époque. Le tout est esthétisé par la toute dernière composition de François de Roubaix, césarisée elle aussi. Une œuvre qui ne montre pas seulement l’horreur de la guerre, mais la barbarie gratuite de certains êtres humains vis-à-vis de leur semblable. Un film qui ne vous laissera pas indifférent, qui vous marquera à jamais, et qui va rester longtemps, très longtemps dans vos mémoires, à la limite du traumatisme.