Une œuvre posthume se regarde toujours avec un regard décalé, à l'image du cinéma d'Alain Resnais qui signe avec Aimer, boire et chanter sa dernière œuvre. Il lègue comme testament au septième art vingt films qui ne se ressemblent pas, vingts histoires qui se sont inscrites dans la culture intellectuelle française. Pas apprécié de tous et peut-être parfois mal compris, il nous donne un dernier rendez-vous avec six personnages en plein désarroi, apprenant la mort prochaine d'un de leurs meilleurs amis, Georges.
Mais qui est ce Georges, pièce maîtresse de ce scénario alambiqué ? C'est un amant, un mari, un meilleur ami, une sorte de fantasme que tout le monde aimerait avoir dans sa vie pour se sentir moins seul, plus vivant. C'est également une métaphore d'un thème récurrent de l'artiste : l'obsession pour la mort, retrouvée dans nombre de ses réalisations, telles L'Année dernière à Marienbad, L'Amour à mort, ou Vous n'avez encore rien vu. Mais à force de mystère et de non-dit, ce pitch qui aurait pu devenir un savoureux mélange entre humour et comédie lasse et nous laisse perplexe.
Ce film n'est que pur théâtre, dans ses décors, sa mise en scène, et son jeu des acteurs. Mais y-a-t-il un réel intérêt cinématographique à cette œuvre ? Rien n'est moins sûre. Par sa volonté d'aller toujours plus loin dans ses démarches artistiques, Resnais réalise pour sa dernière création une sorte d'antifilm. Il intègre néanmoins dans son cadre de violentes ruptures de rythme (gros plans soudains des acteurs) pour casser le ton de la scène et perdre le spectateur dans son rapport à l'imaginaire. Enfermés dans un cadre resserré et artificiel, les protagonistes le sont aussi à travers ces gestes artistiques, aussi brutaux qu'originaux.
À quatre-vingts onze ans, Resnais nous a prouvé toutefois avec ses créations qu'il avait encore plus que jamais le goût de vivre, même si l'on peut déceler ici ce rapport important au passé et ce goût pour la nostalgie. Film mineur pour un cinéaste majeur, Aimer, boire et chanter clôture son travail de la plus belle et ironique des manières : ses personnages se retrouvent autour de la tombe de Georges pour son enterrement. C'était la dernière séance.