J’adore Pinocchio, qui reste un de mes contes favoris même à l’âge adulte mais, en bon connaisseur du texte original de Collodi, j’ai toujours regretté que le Disney de 1940 ait édulcoré le ton parfois très sombre qu’on y trouvait, même s’il reste à ce jour un des plus beaux classiques de la société. Je n’ai par contre aucune pitié pour la récente relecture Live par Robert Zemeckis, disponible sur Disney+, concentré de paresse technologique et de faillite morale. Si je n’ai pas encore vu la version de Mattéo Garrone pour laquelle je nourris certaines attentes, l’antidote parfait à cette horrible révision numérique hollywoodienne existe, et c’est Guillermo del Toro qu’il faut en remercier. Pourtant, le réalisateur mexicain ne se montre pas particulièrement fidèle à l’oeuvre de Collodi, si ce n’est dans ses grandes lignes…mais il se l’approprie intelligemment et c’est encore mieux. Passons rapidement sur l’aspect technique : on a affaire à un stop-motion de qualité supérieure, et à des choix esthétiques qui parviennent à s’éloigner de ce qu’on connaissait jusqu’ici sans être non plus totalement hors-sujet. Par ailleurs, on reconnaît, à de petits détails creepy, l’amateur éclairé de fantastique qu’est Del Toro : Gepetto fabrique sa marionnette à grands coups rageurs dans une nuit d’ivresse, de fureur et de démence illustrée par tous les effets du cinéma d’horreur, tandis que cette dernière, encore maladroite (et qui ne s’humanisera jamais vraiment au fil de l’histoire) évolue dans les premières minutes comme une araignée cauchemardesque. C’est surtout au niveau du fond que Del Toro parvient à apporter sa pierre à l’édifice, et à traiter la matériau littéraire comme l’auteur à part entière qu’il est. Les thématiques abordées par cette nouvelle adaptation sont rares au sein de la production pour enfants, au point qu’on peut parfois se demander si ce ‘Pinocchio’ se destine bien aux enfants (interrogation à laquelle je réponds par un “Oui” absolu et définitif, ‘Del Toro’s Pinocchio’ était peut-être l’une de ces trop rares productions animées qui ne feront pas baisser leur QI et auront la vertu de leur rappeler que le monde a des dents et qu’il n’hésitera pas à s’en servir). Ainsi, on aura droit à un réquisitoire contre l’hypocrisie des religions lorsque la marionnette se demande pourquoi le Christ de bois de l’église recueille les louanges et les chants de villageois qui ne le connaissent pourtant pas, alors que lui-même, qui fait pourtant partie de la communauté, est perçu comme une monstruosité et une anomalie. Ce faisant, il dénonce les paroles rassurantes de son créateur, qui lui assurait que tout irait mieux quand les villageois auraient appris à le connaître, pieux mensonge parental dont les conséquences sont énormes lorsque la réalité se charge de les infirmer. D’une manière générale, ce qui ressort le plus fortement, au point qu’on se demande dans quelle mesure le réalisateur ne règle pas certains comptes personnels à travers cette adaptation, est une dénonciation des péchés des pères, qui retombent immanquablement sur leurs enfants. Apparaît ainsi dans cette version le personnage de Carlo, fils biologique de Gepetto mort durant la guerre précédente. La marionnette ne peut dès lors être qu’une version ré-imaginée de Carlo, à qui Gepetto refuse toute singularité, au point de se montrer cruel avec elle lorsqu’elle ne correspond pas à l’idée qu’il se fait de l’enfant rêvé. Même l’ancrage de l’histoire dans l’Italie fasciste, s’il pouvait s’apparenter à une facilité dans le choix d’une cause à défendre ou à dénoncer, se paye le luxe d’être d’une délicieuse ambiguïté. D’un livre qui prônait les vertus de l’obéissance filiale, Del Toro a paradoxalement tiré une ode à la désobéissance, Pinocchio, moitié ingénument et moitié pleinement conscient du double-discours qu’on lui sert, se montre incapable de suivre les autres marionnettes, bien humaines celles-là, qui marchent au pas et effectuent le salut romain !