Il ne faut pas manquer le début du film, puisque celui-ci s'ouvre sur une suite de panneaux expliquant la situation des Aborigènes en 1967, "régis par un statut comparable à celui de la flore et de la faune" (cette expression n'est pas tirée d'un texte de la politique raciste de la White Australia, mais du manifeste fondateur du Black Power aborigène en 1970, "parce qu'ils disent que nous appartenons à la terre mais que la terre ne nous appartient pas"), la Génération volée, cette politique du gouvernement qui enlevait les enfants mulâtres pour les placer dans des orphelinats ou des familles d'accueil blanches, et qui précise pour finir, argument imparable, qu'il s'agit d'une histoire vraie.
Cet argument, renforcé par un panneau final qui explique que le scénariste est le fils d'une des protagonistes, semble nous intimer l'obligation d'adhérer à une histoire aussi sympathique et si symbolique de tant de causes. Seulement voilà, le cinéma se juge au résultat, or celui-ci ne tient pas les promesses annoncées et ce pour de nombreuses raisons. Tout d'abord parce que la multiplication des sujets et leur dramatisation cousue de cable blanc dispersent le récit : la place des Aborigènes dans la société australienne des années 60, les conséquences de l'enlèvement légal des enfants mulâtres, la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis et dans l'armée américaine au Viet-Nam ou la difficulté d'assumer son identité dans une société divisée par un apartheid qui ne dit pas son nom : résultat, le film traitent en surface tous ces sujets sans en approfondir aucun.
Ensuite parce que le scénario, relayé par la réalisation, utilise toutes les ficelles de l'émotion facile, appuyant les scènes larmoyantes (le concert devant les blessés dans un hôpital de campagne, le flash-back au ralenti sur l'irruption des agents gouvernementaux) en les étirant et en les soulignant à coup de répliques convenues. Et comme, à l'exception de l'Irlandais Chris O'Dowd, le jeu des acteurs sonne souvent faux, la sauce ne prend que très rarement. J'ai bien eu un peu d'espoir en voyant le scénario assumer une rupture tragique, mais trois scènes plus tard, il ressort un lapin du chapeau pour assurer le happy end. Une nouvelle fois l'adage se vérifie : les bons sentiments ne font pas les bons films.
Le meilleur se trouve donc ailleurs, dans la dimension musicale de cette aventure. Au départ, les quatre aborigènes chantent de la country, musique blanche s'il en est ; et c'est un Irlandais qui leur impose la soul, lui qui raconte que le jour où il a entendu "The Arms of mine" d'Ottis Redding sa vie a changé. Selon lui, les deux musiques évoquent la perte, mais alors que la country se situe dans la complainte, la soul exprime la détermination. Les nombreuses scènes de concert fonctionnent bien, grâce aux standards de Marvin Gaye, Wilson Pickett ou Sam and Dave, et à l'énergie des actrices-chanteuses. Ni vraiment drôle comme "Good Morning Viet-Nam", ni réellement mélancolique comme "Tournée", "Les Saphirs" nous raconte une histoire édifiante mais originale ; dommage que son traitement ne soit pas à la hauteur de ses ambitions.
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