Oserais-je l'avouer, au risque de me fâcher avec tous les lecteurs de Télérama, nombreux dans mon lectorat ? Je ne suis vraiment pas fan de Miyazaki, ni plus généralement de l'animation nippone, alors que j'ai toujours montré de l'intérêt pour le cinéma japonais. J'ai toujours eu du mal avec les petites bestioles soit-disant comiques qui accompagnent les héros, ainsi qu'avec certains personnages récurents comme ces grands-mères protéiformes et monstrueuses qui pullulent chez Miyazaki. Dans la production des studios Ghibli, je ne retiendrais que "Le Tombeau des lucioles" et "Le voyage de Chihiro". Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si parmi la vingtaine de critiques que je n'ai pas réussi à finir figurent deux films de ce type, "Ponyo sur la Falaise" et "Summer Wars", n'ayant visiblement pas grand chose à en dire.
Pourtant, j'ai revu récemment "Summer Wars" de Mamoru Hosada, et j'ai vraiment apprécié le traitement de cette histoire entre un réalisme poétique et un imaginaire virtuel débridé. Donc, objectif clair : finir cette critique ! Par rapport à son film précédent, Mamoru Hosoda a choisi cette fois-ci un récit beaucoup plus linéaire, avec juste la voix off de la narratrice, Yuki devenue adulte. Point d'interférence entre différents mondes, point de clan dirigé par une matriarche à la poigne de fer, point de personnages multiples comme dans "Summer Wars". Au contraire, un récit centré sur Hana et ses deux enfants, opposés au monde extérieur perçu comme une menace. C'est d'ailleurs ce qu'explique Hosada : " Après Summer Wars, qui était plein de personnages et de situations sophistiquées mêlant le réel et le virtuel, j’ai essayé de faire un récit simple, resserré sur une mère courageuse et ses enfants, et je me suis interdit de faire des séquences trop spectaculaires, car ça ne correspondait pas au contenu du film. J’ai cherché à montrer le côté paisible et calme de la vie."
D'abord cloîtrée dans son appartement de Tokyo, Hana va devoir s'enfuir, les voisins s'alarmant des hurlements des enfants-louveteaux, et les services sociaux s'étonnant qu'ils n'aient jamais été vus par un médecin. Elle va donc partir dans la montagne, et tenter de vivre en autarcie dans une maison abandonnée, essayant tel Jean de Florette élevant ses lapins australiens de faire pousser quelques légumes dans une terre ingrate. Heureusement, les voisins montreront plus de pitié et de solidarité que les paysans de la région d'Aubagne, et Hana bénéficiera de la protection d'un patriarche bourru à la Clint Eastwood, porteur des valeurs bien japonaises du travail et de la peine nécessaire.
Hosada sait exalter la nature comme personne : rotation du ciel, lent mouvement des nuages, toile d'araignée piégeant des gouttes de pluie, première neige en montagne, les tableaux splendides se succèdent. Il a d'ailleurs été chercher des paysages réels dans sa région natale de Kamiichi, y compris la maison qui accueille Hana et sa famille. Mais sa virtuosité s'exprime aussi dans la peinture des paysages urbains, que ce soit les environs de l'université proche de Tokyo ou les scènes qui se déroulent dans l'école primaire (et notamment un très beau travelling qui illustre l'écoulement des années de scolarité des deux enfants), Hosada jouant sur les lumières naturelles et artificielles de la ville, ainsi sur l'opposition entre verticales et horizontales.
Merveille graphique, "Les Enfants Loups" convainc moins dans la maîtrise du récit, tant du point de vue du rythme que de celui de la tonalité. Difficile de tenir presque deux heures avec aussi peu d'événements, et un sentiment de monotonie monte devant la répétition de scènes identiques : celles qui décrivent la fougue de Yuki, puis celles qui annoncent le basculement animal de Ame. La volonté éminemment respectable d'Hosada de ne pas chercher le spectaculaire trouve ici sa limite, quelques ellipses et une réduction de 15 minutes auraient été les bienvenues. Par ailleurs, le choix tranquillement assumé du mélo, renforcé par l'omniprésence d'une musique sirupeuse pose un problème de cible : à qui s'adresse un tel film ? Trop larmoyant et trop long pour des enfants (ça papotait sec à la séance de 10 h de l'UGC Défense), trop simpliste pour un public adulte. Dommage, car le film fourmille de qualité : de très belles scènes poétiques, le personnage solaire de la mère (contrepoint parfait de Murielle dans " A perdre la raison"), un graphisme aérien ; mais le tranquille ennui qui s'installe et la petite musique du pathos ne justifient pas l'enthousiasme de la critique.
http://www.critiquesclunysiennes.com/