Grand vainqueur des Golden Globes mais totalement oublié par les Oscars, American Bluff du génial et insaisissable David O. Russell, se révèle être derrière sa façade "d’aspirateur à récompenses", la nouvelle perle d’un des cinéastes les plus talentueux de sa génération. Après les magnifiques Les Rois du désert (1999), The Fighter (2011) et Happiness Therapy (2012) le cinéaste revient en grande forme avec cette plongée dans l’Amérique des 70′s, à travers l’histoire fascinante d’un brillant couple d’arnaqueurs. Mixe du casting de The Fighter et de Happiness Therapy, le film vient une nouvelle fois confirmer que le réalisateur est bel est bien l’un des meilleurs directeurs d’acteurs actuel. S’il a bénéficié d’un énorme buzz aux Etats-Unis, difficile de dire que le film ait fait l’unanimité en France. Public et critiques curieusement divisés pour ce qui est l’un des meilleurs films de ce début d’année 2014.
Tour à tour comédie, film d’arnaque, drame familial, thriller politique ou encore film de mafia, le film confronte ses personnages à eux-mêmes, essayant tant bien que mal de survivre dans un système aussi malhonnête qu’eux. Regroupant un casting des plus prestigieux (Christian Bale, Bradley Cooper, Amy Adams, Jennifer Lawrence, Jeremy Renner et même Robert de Niro !), le film réussit l’exploit de donner une épaisseur psychologique à chacun de ses personnages sans jamais forcer les traits. Des personnages complexes, traités avec une profonde affection comme toujours chez David O. Russell, que le cinéaste prend un malin plaisir à faire valser dans un tourbillon infernal de faux-semblants. Le film va constamment s’amuser à perdre le spectateur dans les falsifications de ses personnages, à l’image de son introduction délirante, où le personnage de Christian Bale essaie de cacher sa calvitie du mieux qu’il peut. Déjà lauréat d’un Oscar du meilleur second rôle pour The Fighter, l'acteur -métamorphosé- offre une nouvelle fois une prestation ébouriffante, épaulé par des seconds rôles géniaux tout aussi importants. En effet, une grande partie de la réussite du film est due à une qualité d’interprétation d’une justesse absolue. Drôle et à l’énergie communicative, le film collectionne les répliques hilarantes et les séquences jouissives, avec un dernier quart d’heure mené tambour battant. Toujours aussi fascinant dans sa manière de faire exister ses personnages, le réalisateur change radicalement d’univers mais retrouve la finesse psychologique de ses précédents films. A mi-chemin entre le Boogie Nights de Paul Thomas Anderson (qui rendait déjà un hommage assumé au cinéma de Scorsese) et le Casino de Scorsese, American Bluff digère les codes de ses modèles pour accoucher d’une œuvre singulière et fortement iconoclaste.
Si le film souffre forcément de la comparaison avec Scorsese, David O. Russell réussit à se détacher de son modèle en s’amusant avec les codes du genre qu’il investit. Le film entame donc son rythme dynamique sur la narration fluide des films de Scorsese (multiples voix-off, arrêts sur image, montages etc…) pour finalement nous transporter dans un récit labyrinthique bluffant et diaboliquement manipulateur, où la mise en scène limpide et maîtrisée du cinéaste vient largement compenser les légers défauts d’un scénario parfois confus. Esthétiquement superbe, American Bluff a su conserver l’âme du cinéma de David O. Russell, toute son ambivalence et son ironie, en y ajoutant cette fois la délicieuse reconstitution d’une époque. Les faits réels dont s’inspire le film n’est qu’un prétexte pour laisser au cinéaste la liberté absolue de manipuler les codes du thriller politique et permettre à ses comédiens éblouissants de déployer tout leur talent. Comme avec The Fighter avec le film de boxe ou Happiness Therapy avec la comédie romantique, le cinéaste américain emprunte les schémas d’un genre ultra-codé pour mieux les détourner et aboutir sur un alliage jubilatoire, galvanisant et imprévisible.
Toujours aussi précis dans l’utilisation de l’espace scénique, dans sa mise en scène et sa direction d’acteurs, David O. Russell n’en finit plus de sidérer à chaque nouveau film et s’impose plus que jamais comme l’un des cinéastes les plus fascinants du moment. S’il n’atteint pas la puissance émotionnelle des deux précédents films de son auteur ni la portée subversive des Rois du désert, American Bluff reste un pur divertissement, intelligent et décomplexé, qui offre une liberté totale à ses interprètes remarquables.