Le Passé fait partie de la Sélection Officielle de l'édition 2013 du Festival de Cannes, en compétition. C'est la première fois qu'Asghar Farhadi, le réalisateur auréolé de prix pour Une Séparation et A propos d'Elly, foule le sol de la Croisette. Bérénice Bejo y a reçu le Prix d'interprétation féminine.
Avec Le Passé, Asghar Farhadi reste dans ses thématiques de prédilection, qu'il exploite avec les très en vogue Bérénice Bejo (The Artist) et Tahar Rahim (Un prophète) : la déchirure entre les hommes, le divorce et les conflits familiaux. C'est également la première fois que le réalisateur iranien tourne en France avec des acteurs français.
A l'origine, Marion Cotillard devait jouer le rôle de Marie, mais elle a dû se désister pour incompatibilité d'emplois du temps. Asghar Farhadi voulait en effet répéter de plusieurs semaines avant le début du tournage, ce qui n'était pas possible pour l'actrice compte tenu du fait qu'elle devait assurer la promotion de De rouille et d'os dans divers festivals.
En mai 2012, Asghar Farhadi a reçu le premier prix Media (programme de soutien à la création audiovisuelle européenne) pour Le Passé, quand le film n'était qu'un projet et n'avait pas encore de titre officiel. Le prix a été partagé avec son producteur, Alexandre Mallet-Guy, de Memento Films Production.
Le précédent film d'Asghar Farhadi, Une Séparation, a connu un succès international, raflant le César et l'Oscar du Meilleur film étranger et bien d'autres prix. Mais le film a été interdit de célébration en Iran, pays natal du réalisateur et où l'action du long métrage a lieu.
En Iran, la censure fait rage. En 2010, le tournage d'Une Séparation avait été interrompu, non en raison de son sujet mais car Asghar Farhadi avait soutenu les cinéastes iraniens exilés lors d'une cérémonie officielle.
Asghar Farhadi s'est interrogé sur la façon dont il aurait abordé son film s'il l'avait tourné en Iran. Là-bas, selon lui, les gens s'enferment dans une sorte de mutisme et s'expriment de façon indirecte ce qui n'est généralement pas le cas en France. Il a fallu qu'il s'adapte à cela. Ainsi, c'est le personnage iranien (Ali Mosaffa) qui fait parler les autres. Pour autant, le réalisateur n'a rien prémédité. Il raconte : "C’était une réelle ligne de conduite pour moi, j’ai beaucoup tenu à ce que mes personnages ne soient pas définis par leur drapeau ou leur nationalité. C’est la situation qui détermine leurs comportements. Dans une situation de crise, les différences s’estompent". En ce qui concerne le tournage à Paris, il ne voulait pas se laisser submerger par l'histoire de la ville : "Le danger qui guette tout cinéaste qui décide de faire un film en dehors de son contexte d’origine est d’y mettre les premières choses qui captent son regard. J’ai pris le contre-pied de cette démarche. Puisque l’architecture de Paris me fascinait, j’ai voulu la dépasser pour accéder à autre chose". Raison pour laquelle la maison principale du film se trouve en banlieue.
Pour préparer le film, le réalisateur est allé voir des patients dans le coma. Il associe cet état à une sorte d'entre-deux ainsi qu'au doute : "Ce film tout entier se construit sur cette notion de doute, sur cette notion d’entre-deux. Les personnages sont constamment face à un dilemme. Ils sont à la croisée de deux chemins."
Le passé est quelque chose que l'on cherche à oublier même si cela n'est pas toujours évident. Dans le film, le scénario balance donc toujours entre la loyauté envers le passé et le besoin de se tourner vers l'avenir : "Aujourd’hui, nous gardons des traces de notre propre passé, il devrait être plus proche qu’il ne l’était autrefois. Malgré les photos, malgré les emails, notre passé est devenu encore plus obscur. La vie d’aujourd’hui tend peut-être à vouloir aller de l’avant en ignorant le passé. Or, l’ombre de celui-ci continue de peser sur nous et de nous ramener en arrière. Il me semble que c’est vrai en Europe comme dans le reste du monde, on a beau essayer de se propulser vers l’avant, le poids des événements passés continue de peser sur nous", raconte Asghar Farhadi.
Tout simplement car le metteur en scène s'est très vite senti proche de la comédienne : "Elle faisait partie de ces personnes avec qui il est facile d’établir tout de suite une relation, un échange. Son interprétation dans The Artist m’a persuadé de l’intelligence de son jeu. Ce sont deux dimensions absolument nécessaires pour que j’aie envie de travailler avec un acteur : il faut d’abord qu’il soit quelqu’un de fin et d’intelligent, et ensuite qu’il dégage à l’écran une énergie positive. Une personne attachante, avec qui le spectateur a envie de passer du temps". Quant à Tahar Rahim, Asghar Farhadi a été séduit par son côté enfant.
Asghar Farhadi semble ne pas pouvoir se passer d'enfants quand il réalise un film. Ils sont toujours présents même s'il avoue qu'il est difficile de travailler avec eux : "Il me semble que leur présence ouvre l’atmosphère du film aux émotions et aux affects. Ils y insufflent de la sincérité. Dans tous mes films, en effet, les enfants ne mentent pas, si ce n’est sous la pression des adultes."
Au moment de passer les essais pour le rôle de Marie, Bérénice Bejo a été forcée de transformer son visage. Elle raconte : "Asghar essayait de trouver quelque chose dans mon visage, je ne savais pas quoi. Alors il m’a mis des cotons dans la bouche, il m’a foncé le front, il a travaillé sur les commissures de mes lèvres". A vrai dire, le réalisateur voulait qu'elle exprime le doute car c'est ce qui caractérise son personnage.
Avant le tournage, Asghar Farhadi a longuement fait répéter ses comédiens, ce qui a beaucoup frustré Bérénice Bejo. En effet, elle n'avait jamais effectué ce type de travail, et sa crainte était de se lasser de l'histoire. Malgré tout, la comédienne confie : "Quand on est comédien, on a peur parfois de manquer de spontanéité, mais je me suis rendue compte que c’est à force de travail qu’on devient le plus spontané. On connaît tellement le personnage que les choses nous échappent."
Asghar Farhadi explique qu'inconsciemment, il se tourne toujours vers les femmes pour incarner des personnages progressistes. On le voit dans Une Séparation comme dans Le Passé. Bérénice Bejo a conscience de cela : "On sent dans son cinéma qu’Asghar croit plus en la femme qu’en l’homme, qu’il trouve les femmes plus fortes, plus expressives."
Asghar Farhadi ne parle pas français. Il était donc constamment accompagné d'un traducteur lors du tournage, ce qui était assez déroutant pour les comédiens. Bérénice Bejo raconte : "Quand Asghar nous disait : « J’aimerais que tu ailles à gauche, heu non, pardon, j’aimerais que tu ailles à droite », Arash répétait : « J’aimerais que tu ailles à gauche, heu non, pardon, j’aimerais que tu ailles à droite. » Il est devenu la voix d’Asghar."
Tahar Rahim, pour incarner Samir, s'est grisonné les cheveux, a adopté une démarche lourde et lente et a visionné Le voleur de bicyclettes de Vittorio De Sica afin de s'inspirer du personnage du père. Par ailleurs, il ne pouvait en aucun cas ressembler à ses précédents personnages. Asghar Farhadi en a fait une obsession. Le comédien confie : "Il a vu tous mes films et c’était obsessionnel, cela allait jusqu’au détail des costumes. Parfois je mettais une veste proche d’une que j’avais portée dans un autre film, et il protestait : « Non, je l’ai vue là, je n’en veux pas »". A noter qu'il avait été approché par le réalisateur pour tourner un autre film racontant l'histoire d'amour entre un homme et une femme sur internet. Finalement rien ne s'est concrétisé.
Asghar Farhadi vient du théâtre. En cela, il a donné beaucoup d'exercices à ses comédiens. Le premier consistait à imaginer l'histoire de leur personnage, le second à observer les autres acteurs et le troisième à organiser d'intenses et longues répétitions. Tahar Rahim explique : "Ce sont des exercices qui viennent de la vie antérieure d’Asghar, en tant que metteur en scène de théâtre, et c’était très important pour connaître et intégrer des éléments biographiques des personnages, donc ne plus y penser au moment du tournage. Ils m’ont permis d’être enraciné dans une autre vie."
Ne sachant pas très bien parler français, le comédien Ali Mosaffa a dû compenser ses lacunes par un jeu plus approfondi et de meilleure qualité : "Quand on joue dans une autre langue, on perd l’arme de sa langue maternelle. Car, souvent, on s’appuie sur elle pour compenser des faiblesses (...). Lorsqu’on est privé de cette arme, on ne peut plus utiliser que les éléments premiers du jeu, comme le regard, par exemple", confie le comédien.
Comme le veut la méthode d'Asghar Farhadi, les comédiens doivent inventer un passé à leur personnage. Cependant, Ali Mosaffa n'a pas souhaité procéder de la sorte : "Chercher à expliquer le comportement d’un personnage par le recours à son passé ne peut avoir comme but que la résolution des contradictions présentes. Or pour moi, les contradictions doivent être acceptées pour rendre le personnage réel. Chercher à les faire disparaître me semble contre-productif". Son personnage est d'ailleurs très ambigu. Il quitte sa femme mais ne cesse de se préoccuper de son avenir. Ainsi, selon lui, il ressemble aux Iraniens d'aujourd'hui, des personnes sincères qui s'intéressent aux autres mais qui vivent à une époque difficile.