La réussite qui fit passer The Jazz Singer à la postérité est essentiellement technique, projetant le cinéma dans l’âge du parlant grâce à ses séquences chantées et à la tirade de Jakie ; pour autant, ni le scénario ni la mise en scène ne surprennent, appliquant à la lettre pour le premier la dialectique de l’affranchissement d’un fils, qui quitte le domicile familial pour voler de ses propres ailes, et de la repentance puisqu’il revient à New York, retrouve les siens et accepte de chanter le Kol Nidre, pour la seconde une illustration propre mais sans fulgurances – exception faite, peut-être, du montage cut sur des actions simultanées que nous retrouverons, par exemple, dans le cinéma de Damien Chazelle.
Le film investit le milieu juif, qu’il confronte à l’industrie du spectacle pour mieux aboutir à un statu quo facile ; ce faisant, il témoigne d’une réalité culturelle qui veut que « dans l’Amérique des années 1930, le chantre allait devenir un intermédiaire spirituel entre monde religieux et monde du spectacle. L’immigration de masse s’était accompagnée du phénomène du vedettariat lié aux chantres de talent, que les synagogues en concurrence cherchaient à s’attacher par contrats et faveurs » (Véronique Perrin-Eleftériou, « The Jazz Singer, vecteur de la mémoire judéo-américaine ? », 2004). Or, Jakie ne se comporte pas autrement qu’en showman quand il anime la nuit du Pardon, appliquant une gestuelle spectaculaire tout droit venue de ses numéros musicaux, à la différence de son père ascétique et rigoriste ; attitude qui ne semble déranger aucun fidèle... Il n’est pas anodin, d’ailleurs, que trois exemplaires du talit soient achetés en cadeau audit père de famille : ce dernier portera celui que lui offre son fils renié qui « reviendra à la vie » lors de sa participation au Kol Nidre, en échange de son propre souffle vital.
The Jazz Singer s’empare ainsi d’une matière juive, religieuse et plastique, confrontée à une modernité placée sous le signe de la libération des corps et des pratiques : il adopte une tonalité mélodramatique, appuyée sur l’attachement à la figure maternelle qui définissait le divertissement yiddish de l’époque. La répartition des chansons n’est pas non plus laissée au hasard : le premier chant est religieux, assuré par le père, tout comme le dernier, assuré par le fils ; la musique sacrée encadre l’œuvre, comme repentance certaine du jazz qui conduit Jakie à se peindre le visage en noir comme « ombre de lui-même » (selon les dires de Moisha Yudelson).
Broadway, dans tout cela, apparaît tel un prétexte commercial qui tente le fils égaré mais qui n’aura raison ni de sa foi ni de sa dévotion aux siens. Il est associé, par bijoux interposés, à une activité illicite et dangereuse. Dès lors, le dilemme représenté n’en est pas un : nous savons pertinemment que le personnage se raccordera à ses origines ; il se résout en un claquement de doigts qui préfère le happy end à la réflexion sur les points de contact de deux mondes. Reste un divertissement efficace et techniquement innovant.