Dans une période où Pixar perd en qualité de film en film, et où DreamWorks préfère proposer des dessins animés sans réelle prétention, un vieux studio renaît de ses cendres pour profiter de cette fin d’année pauvre en terme de cinéma d’animation et nous sert ce qu’il prétend être « le film le plus ambitieux jamais créé par le studio ». Disney a en effet axé la promotion de « La Reine des Neiges » sur le côté mature et adulte du film ainsi que sur sa musique qui serait « la plus grande expérience musicale depuis « Le Roi Lion » ». Après la réussite que fut « Raiponce », je ne voulais que croire à leurs promesses ! Pari réussi ? D’un côté oui parce qu’on y sent une vraie volonté de changement et de nouveauté, mais malgré tout, on remarque une certaine retenue par peur de trop surprendre le public habituel de Disney, et de courir ainsi vers l’échec commercial.
Et cette retenue s’exprime tout d’abord dans la technique d’animation du film. Premièrement, le film n’a coûté que 150 millions de dollars, un budget qui est certes énorme, mais en sachant que « Raiponce » a coûté plus de 260 millions de dollars, c’est quand même étonnant que Disney ait versé un budget aussi faible pour leur « film le plus ambitieux jamais créé » ! Et cela s’explique par le fait que l’univers visuel est exactement le même que celui de « Raiponce » (pas étonnant que ce personnage fasse un caméo dans le film) car le studio n’a voulu prendre aucun risque et poser leur film sur une valeur sûre (« Raiponce » avait étonnamment cartonné au box-office)! Les seuls ajouts apportés à l’animation sont un rendu de la neige vraiment bluffant, et des visages plus expressifs… voire trop expressifs (c’est personnel mais j’ai trouvé que les visages perdent en naturel ce qu’ils gagnent en expressions). De plus, l’animation, tout aussi belle soit-elle, n’égale pas celle de « Raiponce » qui est un des plus beaux films d’animation jamais créés. Mais heureusement, « La Reine des Neiges » se rattrape sur le design de ses personnages (en particulier celui d’Olaf le bonhomme de neige, qui, en plus d’être innovant, m’a fait marrer du début à la fin du film) et la beauté de ses décors. Mais vous l’avez compris, ce n’est pas sur ce point-là que Disney a fait le plus d’efforts.
Là où Disney voulait surprendre, c’était dans son histoire qui était sensée être plus adulte et plus mature. Et cette volonté, on la sent pendant tout le film… mais on sent également que leur cahier des charges ne leur permettait pas d’opérer à de tels changements pour un film Disney. Par exemple, il y a un contraste assez fort entre les différents personnages du film. Ils sont presque tous archi-stéréotypés. Anna est le cliché typique de la princesse naïve et hyperactive, Hans, le cliché typique du prince charmant…
qui va devenir le cliché typique du connard assoiffé de pouvoir
, le duc, qui est le cliché typique du vieil idiot, Olaf qui est le cliché typique du comic release gentillet… Mais on a aussi d’autres personnages plus originaux comme Kristoff, et surtout Elsa. Ce n’est pas pour rien que tout est centré autour d’elle parce que Disney a créé un personnage assez profond et complexe… Le problème, c’est qu’ils ne l’exploitent pas assez. Dire qu’elle n’est pas développée, c’est exagéré mais on aurait aimé voir plus sur un personnage avec un tel potentiel ! Et c’est là qu’on ressent encore de la retenue de la part de Disney. Ils voulaient créer un personnage tragique et complexe, mais pour ne pas ternir leur réputation bon enfant, ils nous ont rajouté une héroïne cucul et un bonhomme de neige qui parle. Après, ces personnages restent très attachants mais c’est quand même dommage de gâcher un tel potentiel. À présent, vous l’avez compris je pense, mais « La Reine des Neiges » tient-il ses promesses sur la maturité de son histoire ? Clairement non, ce film est certes plus mature que d’autres Disney comme « Raiponce » ou « La Petite Sirène », mais il obéit à absolument tous les codes naïfs et par moments énervants des autres films Disney. Mais le film a de bonnes idées !
Premièrement, l’humour de « La Reine des Neiges » est vraiment très bon. Malgré quelques lourdeurs écrites uniquement pour faire rire les enfants (la danse avec le duc), certaines scènes sont vraiment hilarantes (le passage au magasin…), et étonnamment, Olaf le bonhomme de neige est juste génial ! Les extraits que j’avais vus sur Internet ne présageaient rien de bon mais chacune de ses scènes m’ont fait exploser de rire de par ses répliques très bien écrites, et l’idée géniale des scénaristes de rappeler constamment que ce n’est qu’un bonhomme de neige (vous comprendrez quand vous verrez les tortures qu’on lui inflige) ! Mais heureusement, l’humour n’est pas l’atout majeur du scénario de « La Reine des Neiges ».
Rien que dans sa narration, Disney a fait un bond en avant ! Le premier acte du film est bel et bien le premiers tiers de sa durée totale (regardez « Le Roi Lion » ou « La Petite Sirène » et vous constaterez l’évolution), le film sait prendre son temps et garder un rythme soutenu malgré tout, et surtout le rebondissement introductif du troisième acte du film est inattendu ! Vraiment, Disney a parfaitement entretenu son rebondissement parce que même si on avait
des doutes sur la gentillesse de Hans, le film l’a montré tellement de fois plein de bonnes volontés qu’on s’est laissé manipulé et on a, comme les personnages du film, fini par lui accorder notre confiance. De plus, la révélation sur ses véritables desseins est cohérente et plutôt bien amenée (bien qu’un peu clichée).
De la part de Disney, un peu de surprise m’a vraiment fait du bien !
Le film marque encore quelques points sur son côté poétique. Bien que ne dépassant pas celui de « Raiponce », j’ai trouvé le prologue de « La Reine des Neiges » assez créatif (en particulier la scène avec les trolls), et de même pour les origines d’Olaf. De plus, j’ai trouvé la solution pour
guérir le cœur glacé d’Anna (« l’amour peut dégeler un cœur de glace »)
assez bien trouvée. Elle est certes plutôt simple mais elle convient parfaitement au ton de l’histoire et son dénouement sera finalement plus original qu’on ne pouvait le penser.
Passons maintenant à la promesse que nous a faite Disney : le film a bel et bien une dimension tragique.
Le prologue du film nous narrant la jeunesse des deux protagonistes est particulièrement touchant car il mêle aussi bien la nature féérique de l’univers d’Arendelle et la tragédie que vont endurer les deux sœurs durant vingt ans. La tragédie d’Elsa est d’autant plus forte que Disney a eu la bonne idée de ne pas expliquer l’origine de ses pouvoirs, donnant ainsi l’idée de la malédiction beaucoup plus percutante. Le film se centre donc sur la relation et les rapports affectifs entre Anna et Elsa. Le fait d’avoir ici deux sœurs aux caractères complètement opposés qui se retrouvent après ne plus s’être vues pendant quinze ans de tristesse, et qui vont malgré tout garder ces liens fraternels et cet amour tout au long du film, c’est juste brillant et incroyablement touchant. Ça peut paraître simple au premier abord mais les scénaristes ont fait un quasi sans-fautes pour exploiter cette idée. La détermination d’Anna pour retrouver sa sœur, la volonté d’Elsa de ne pas mettre sa sœur en danger… Le dénouement du film prend alors une tournure inattendue et allie parfaitement tous les points positifs de l’histoire de « La Reine des Neiges » !
Le fait qu’Anna se sacrifie pour sauver sa sœur, et qu’ainsi, ce soit l’amour d’Elsa envers elle qui puisse la dégeler
est la conclusion parfaite de leur relation, et apporte un bon bol d’air frais à toutes les histoires d’amour Disney, ayant grâce à ce dénouement
évincé les deux princes charmants qui auraient rendu cette histoire clichée et classique.
Bon sang mais après une telle fin, comment Disney aurait-il bien pu gâcher son film ? Comment aurait-il bien pu trahir la dimension adulte et poétique qu’il vient tout juste d’acquérir ? Eh bien ils ont réussi les salauds ! Ils ont réussi à gâcher cette fin sublime, touchante et magnifiquement mise en scène ! Attention,
l’amour qu’Elsa porte pour sa sœur ne permet pas seulement de dégeler Anna, mais de tout dégeler ! L’amour est la solution de tout ! L’amour, c’est le putain de deus ex machina que Disney a choisi pour conclure son film !!! L’amour, c’est la putain de morale niaise, débile et éculée depuis leur tout premier long-métrage « Blanche Neige et les sept nains » sorti en 1937 !!! Et ils vont y aller à fond sur leur idée si originale et si grandiose ! Anna va épouser Kristoff, Olaf va se lier d’amitié avec Sven, Elsa va créer une patinoire pour amuser toute la peuplade d’Arendelle…
Mais pourquoi ???? Pourquoi ont-ils fait ça ?? Ce genre de messages à la con a toujours été critiqué depuis les débuts du cinéma ! Pixar nous a prouvé suffisamment de fois que l’on n’est pas obligé d’insérer un message ultraniais et de résoudre absolument tous les problèmes pour créer un bon « happy ending » ! Alors certes, cette facilité scénaristique avait aussi été utilisée dans « Raiponce » mais elle était cohérente et convenait parfaitement au ton joyeux et délicieusement naïf du long-métrage ! Et c’est là le gros problème de cette « Reine des Neiges » : il ne sait jamais choisir son ton et alterne maladroitement entre comédie, drame et conte pour enfants. Et malheureusement, cette maladresse se ressent également dans les chansons. Autant, certaines sont magnifiques et se marient parfaitement avec le film (« Je voudrais un bonhomme de neige » qui change incroyablement bien de ton à trois reprises, « Le renouveau », « Libérée, délivrée », « En été ») alors que d’autres sont complètement hors-sujet (« Nul n’est parfait » qui, bien qu’étant une bonne chanson, n’a absolument pas sa place dans le film) ou sont un poil exagérées (la reprise du « Renouveau » qui est juste ma chanson préférée du film mais son climax (point culminant, montée en puissance) est trop soudain). Mais, même si les chansons ne se marient pas aussi bien avec le film que dans des dessins animés comme « Le Roi Lion » ou « La Belle et la Bête », Kristen Anderson-Lopez et Robert Lopez ont effectué un travail remarquable. D’une part, les chansons sont toutes assez recherchées, magnifiquement chantées (la performance d’Indina Menzel est impressionnante !) et différentes les unes des autres mais en plus, ils ont eu l’idée géniale de lier presque toutes les chansons entre elles ! On entend des morceaux de « Let it go » dans les deux versions de « For the first time in forever » et « Do you want to build a snowman », des morceaux de « Frozen heart » dans la reprise de « For the first time in forever », et on retrouve même quelques mélodies de ces chansons dans la musique instrumentale de Christophe Beck ! D’ailleurs, on parle beaucoup des chansons du film mais pas assez de cette musique instrumentale qui est pourtant d’excellente qualité également que ce soit dans les musiques d’ambiance ou dans les quelques thèmes créés pour le film (« Vuelie », le chant norvégien du générique de début est génial !). Tout cela donne une vraie identité musicale au film et, malgré quelques défauts, on ne peut que féliciter les compositeurs.
J’ai beaucoup parlé du scénario de « La Reine des Neiges » et peu de sa mise en scène, qui est souvent injustement oubliée dans les films d’animation. Personnellement, je l’ai trouvée plutôt bonne, avec un vrai souffle épique vers la fin du film. Certains reprochent au film un rythme trop rapide (en particulier pour le troisième acte) mais moi, je l’ai trouvé parfait. Et je trouve débile de critiquer l’accélération du rythme du troisième acte puisque c’est justement
une course contre la montre
… On peut aussi noter que la scène
du sacrifice d’Anna
est vraiment bien réalisée, que ce soit dans son choix de n’y avoir placé
aucune musique et d’avoir laissé durer cette scène pendant une quinzaine de secondes
.
En bref, « La Reine des Neiges » n’est pas le chef d’œuvre tant attendu mais… je ne peux pas lui mettre moins de 5/5… Pourquoi ? Parce que malgré tous ses défauts, ce film m’a fait retomber en enfance pendant une heure et quarante minutes et m'a fait ressentir des émotions que l'on voit de moins en moins dans les dessins animés actuels. Même si la fin et quelques niaiseries Disney m’ont énervé, j’ai quand même ressenti un immense plaisir de voir un gentillet « tout est bien qui finit bien ». On sent réellement que Disney a cherché à rendre leur histoire plus adulte mais qu’ils avaient aussi peur de rater leur film et de ne pas plaire aux enfants, ce qui donne ce mélange un peu maladroit. Mais peu importe, « La Reine des Neiges » a du cœur et nul doute qu’aucun enfant ne pourra résister au charme enchanteur de l’univers d’Arendelle. Et quand aux adultes, ça m’étonnerait que ce film les laisse de glace (ho !ho !ho !). J’en suis convaincu, Disney est sur le bon chemin pour redevenir le studio n°1 du cinéma d’animation, et peut-être que le succès du film leur laissera enfin plus de liberté pour écrire des histoires plus adultes. De toute manière, je serai dans les salles à la sortie de leur prochain film !