Rappel des faits :
5 mai 1993 - West Memphis, Arkansas
L'assassinat sordide de trois jeunes enfants met en émoi une petite communauté de l'Amérique profonde et bientôt le pays tout entier. L'enquête des autorités se concentre très -trop- vite sur trois adolescents dont seuls les goûts prononcés pour le heavy metal, les tendances gothiques et les sciences occultes en font les parfaits suspects de l'affaire. Jugés et condamnés à la va-vite, il faudra l'acharnement d'un détective privé et surtout les révélations de plusieurs documentaires (la trilogie "Paradise Lost" co-signée par Joe Berlinger, réalisateur de "Blair Witch 2") pour que le destin de ces trois adolescents revienne sur le devant de la scène médiatique grâce à la mise en lumière de l'enquête bâclée qui a conduit à leur jugement. En 2011, la mobilisation de nombreux artistes (Metallica, Disturbed,...) et de nouvelles expertises permettront à leurs avocats d'utiliser le plaidoyer Adford (une bizarrerie juridique américaine qui permet à un accusé de faire valoir son innocence tout en reconnaissant un nombre suffisant de preuves pour le faire condamner) pour obtenir leur libération.
Très mal accueilli par la presse américaine du fait de la folie médiatique et du nombre de documentaires ayant déjà entouré l'affaire, "Les 3 Crimes de West Memphis" est pourtant un polar judiciaire passionnant à suivre pour celui qui ne connait que les contours de cette sidérante affaire.
Ne jugeons pas la forme car Atom Egoyan ne révolutionne en rien les codes du genre et livre sur ce plan un long-métrage d'un classicisme qui n'est clairement pas à sa hauteur mais l'essentiel n'est pas là. C'est bien dans le déroulement de cette enquête/procès que se trouve le coeur et la force du film.
Même si le script de Scott Derrickson et Paul Harris Boardman prend clairement le parti des 3 accusés, il n'oublie pas de préciser par la voix du héros détective incarné par Colin Firth que, s'il est impossible de déterminer leur culpabilité ou leur innocence, on peut indubitablement prouver qu'ils sont devenus les cibles privilégiés des autorités.
Effectivement, on reste tout simplement abasourdi devant la facilité avec laquelle ces trois jeunes sont devenus les parfaits boucs-émissaires d'une enquête tronquée par des policiers bien trop heureux de les donner en pâture à la masse -meute- populaire juste parce qu'ils ne correspondaient pas par leur look/leurs goûts/leurs comportements aux normes d'une bande de néo-rednecks conservateurs et religieux (les vrais Américains, quoi). La recrudescence des crimes pseudo-sataniques de cette époque, le metal et leur style gothique en faisait les proies idéales d'un système judiciaire qui allait ignorer sciemment tout un tas d'autres pistes bien plus flagrantes (celle inexploitée du fast-food est ahurissante) et priviliéger les faux-témoignages ou les manipulations corroborant sa vision étriquée de l'affaire.
Terriblement prenante, cette histoire reflet d'une société américaine complètement paumée et contradictoire est en plus servie par des interprètes de très haute volée à commencer par ses deux "héros": Colin Firth, étonnant choix pour jouer un détective sudiste tant il représente la classe british incarnée (et il est comme d'habitude excellent), et Reese Witherspoon en jeune mère endeuillée, première victime par ricochet à se rendre compte de l'absurdité des arguments de l'accusation. Le reste du casting est du même acabit et aligne les grands noms : Dane DeHaan, Bruce Greenwood, Stephen Moyer, Elias Koteas, Amy Ryan, Alessandro Nivola, Kevin Durand et Mireille Enos.
"Les 3 Crimes de Memphis West" échoue tout de même à installer une véritable émotion au coeur du récit. Si l'on ne peut bien évidemment n'être que touché pas l'atrocité du point de départ, le film ne fera hélas pas dans la subtilité pour nous transmettre la tristesse de la communauté et, bien sûr, particulièrement celle de la mère au coeur du film (on retiendra juste de ce côté-là la très touchante scène de l'école). Atom Egoyan s'était montré bien plus convaincant sur cela dans son meilleur film "De Beaux Lendemains" ou récemment "Captives".
Mais la plus grosse déception vient sans doute du fait que "Les 3 Crimes de West Memphis" n'explore pas les conséquences post-procès et les rebondissements incroyables qui ont mené à la libération des trois adolescents (le fin se contente de panneaux nous narrant le sort de chacun des personnages) et, par conséquent, nous prive de manière frustrante d'un pan entier de cette histoire abracadabrantesque.
S'il souffre de sa facture classique, d'un manque d'émotions et d'une ellipse finale un brin gênante, le film d'Atom Egoyan n'en demeure pas moins la très bonne retranscription d'une des affaires judiciaires les plus sidérantes d'une Amérique face à ses éternelles contradictions.