Alors, quand on lit dans les critiques "Une fresque magistrale, d'une lenteur calculée, d'une ampleur majestueuse" (Le Figaro), "Superbement mise en scène et photographiée, la chose s'étire inconsidérément" (Le Nouvel Obs), "Beau, âpre et implacable, "Dans la brume" évite l'écueil de l'ennui grâce à l'efficacité glaçante de ce qu'il donne à voir" (Les Fiches du Cinéma) ou "Aride, "Dans la brume" repousse les limites physiques du spectateur par sa forme" (Excessif), on devine bien que ce film de 130 minutes ne va pas avoir le rythme de "Skyfall" ou de " The Dark Knight Rise", ou, pour rester à l'Est, de " Tsar". Quand on lit par ailleurs la profession de foi de Sergeï Loznitsa : "Je pense qu’il est nécessaire pour un cinéaste, ou tout artiste, d’établir une distance avec le sujet dont il traite. C’est une étape nécessaire pour contrôler sa matière, sinon l’émotion prend le dessus et les puissances de la raison et de la création sont mises en péril. En physique quantique, c’est que l’on appelle le principe de superposition", on en a confirmation : on n'est pas menacé par la facilité.
Le film commence par un plan séquence assez virtuose : d'abord cadrée en plan fixe sur un baraquement, la caméra se met en mouvement pour suivre trois hommes escortés par des soldats allemands et des miliciens biélorusses avec en arrière-plan une composition fouillée, puis les quitte pour s'attarder sur des détails : les miliciens qui repoussent violemment la femme d'un détenu, un soldat allemand qui embarque des œufs dans son casque, alors qu'on entend la déclaration d'un officier collabo, jusqu'à ce que la caméra s'arrête sur une charrette pleine de carcasses de viande et que retentisse hors-champs l'ordre : "Pendez-les !" Ce plan d'ouverture qui se place d'emblée au niveau des plus grands ("La Soif du Mal", "Short Cuts", "Snake Eyes") est malheureusement le seul à avoir cette complexité. Dans la suite du film, on a bien de nombreux plans séquence, mais qui se contentent de suivre de façon linéaire et quasiment en temps réel la progression des trois hommes dans la forêt.
Je ne suis pas un adorateur des montages clipesques et du rythme pour le rythme. Je suis le premier à approuver quand des réalisateurs comme Khéchiche, Malick ou P.T. Anderson laissent une scène s'étirer pour aller au bout de sa tension. Mais là, le sentiment au début légèrement hypnotique laisse très vite la place à l'ennui, si ce n'est pas l'assoupissement, d'autant plus que tout adopte ce tempo larghissimo : le déplacement des personnages qui semblent tous souffrir d'arthrite, les dialogues qui rendraient Droopy hyperactif, et même les flashbacks qui s'étirent eux aussi, et dont seul le deuxième apporte quelque chose à la compréhension de l'intrigue.
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