Ceux qui n'aiment que le cinéma trépidant, ceux pour qui, dans un film, il faut que les plans se succèdent à un rythme effréné, ceux-là feront bien de s'abstenir: ce film n'est pas fait pour eux! Ils manqueront cependant un joyau, un film à la fois beau et âpre, un film qui prend son temps certes, qui aime s'attarder, scruter, mais pour nous raconter la plus terrifiante et la captivante des histoires.
Nous voici dans la campagne biélorusse en 1942. Le premier plan du film, inoubliable, étonnant, nous montre des soldats allemands conduisant au gibet trois hommes. Ils sont pendus hors champ, mais qui sont-ils? Qu'ont-ils fait? La suite nous l'apprend: ils sont coupables de sabotage! Mais on apprend aussi et surtout que leur complice Souchénia a, lui, été épargné et libéré par les nazis. La conséquence est évidente: on soupçonne ce dernier d'être un traître. Deux partisans viennent donc le chercher dans sa ferme et l'emmènent dans la forêt pour l'abattre.
On découvrira rapidement que Souchénia n'est pas coupable de ce dont on l'accuse. Mais comment prouver son innocence? La suite du film, au moyen de quelques flash-back, sonde toute la complexité des êtres. Qui sont les innocents? Qui sont les coupables? La guerre peut-elle laisser qui que ce soit indemne? Sans grandiloquence, mais avec beaucoup de précision, le réalisateur invite à réfléchir à toutes ces questions, et ce sans jamais lasser le spectateur, car chaque plan du film est à la fois superbe et oppressant. Les nombreux plans tournés dans la forêt m'ont rappelé "L'enfance d'Ivan", le beau film d'Andréi Tarkovski.
Grand film donc que cette oeuvre de Sergueï Loznitsa, dont beaucoup de scènes me hantent encore. Comment oublier, par exemple, Souchénia portant sur son dos le cadavre de celui qui devait l'abattre mais qui, au moment d'appuyer sur la gâchette, a été lui-même la victime d'une embuscade? Il y a presque quelque chose de christique dans cette scène-là! Tout est filmé avec le plus grand soin, et en laissant hors champ quasiment tous les actes de violence. Enfin un réalisateur qui ne se croit pas tenu de tout montrer mais qui parie sur l'intelligence du spectateur!