Le film de Liza Johnson, assez court (moins de 90 minutes) est une sorte de petite parenthèse surréaliste au milieu d’une production cinématographique estivale marquée par les gros budgets et les pitchs sortis d’on-ne-sait-où ! La fameuse photo de Nixon et d’Elvis se serrant la main dans le bureau ovale a fait couler beaucoup d’encre et de spéculations et c’est assez récemment, à ce que j’ai compris, que l’envers du décor a été dévoilé. La vérité est tellement incroyable qu’elle méritait bien un film et deux monstres sacrés pour incarner le leader du monde libre de 1970 et le plus grand rocker de l’histoire de la musique. Premier coup de génie de la part de Johnson, choisir deux acteurs sans focaliser sur la ressemblance physique à tout prix. Michael Shannon est un acteur dont on parle de plus en plus, et dont on n’a pas fini de parler si vous voulez mon avis. Physiquement, il ne ressemble pas tellement au King mais tout son travail d’acteur pour incarner ce rôle pas comme les autres s’en trouve encore mieux mis en valeur : son phrasé un peu blasé, avec son accent sudiste hyper marqué (en voir impérativement en VO !), ses attitudes, sa façon de marcher, tout est « so Elvis » qu’on en oublie carrément une ressemblance physique discutable. A ses côté, il fallait bien acteur du charisme de Kevin Spacey pour incarner Franck Under… pardon, Richard Nixon. Là encore, la ressemblance est discutable, tout est dans le jeu d’acteur et Spacey est impérial (=pléonasme). La fameuse rencontre, qui dure dans le film une vingtaine de minutes, s’apparente presque a un match de boxe tant le charisme de l’un rivalise avec le charisme de l’autre, tant ces deux acteurs sont au fait de leur rôle. Ces 20 minutes de cinéma sont un régal d’humour, de surréalisme, de cabotinage assumé. C’est le genre de scène dont on se rappelle longtemps après la fin du film, le sourire aux lèvres. A leurs côtés, les seconds rôles tirent bien leurs épingles du jeu alors qu’ils auraient pu être écrabouillés par deux acteurs poids lourds comme Spacey et Shannon : Alex Pettyfer (que je ne connaissais pas et qui est épatant et …charmant !) et Colin Hanks, notamment, s’en sortent plus que bien. La réalisatrice, Liza Johnson, n’a pas juste bien soigné son casting, elle tient son film avec sérieux : reconstitution appliquée, photographie « vintage », habillage musical agréable (sans une seule note de Presley, sauf erreur de ma part), elle reussi un film court et dense, qui passe tout seul et sans jamais tirer en longueur alors que le rythme est comme toute assez lent. Non, on n’entend pas Elvis chanter dans le film et c’est, à mon avis, encore une bonne idée. Pourquoi ? Parce que « Elvis & Nixon » est un film qui illustre ce que ce sera le début de la fin pour Presley. Quoi qu’on en dise, musicalement, en 1970 le meilleur de lui est déjà passé et il ne lui reste que 7 ans à vivre avant de mourir quasi obèse dans ses toilettes de Graceland. En 1970, Presley vire « réac », lui qui a été un précurseur au niveau musical et aussi sociétal, a été complètement rattrapé et dépassé par la vague de 68. Au fond de lui, il n’est resté qu’un blanc du Sud, amoureux des armes, de l’ordre et de la bannière étoilée. L’entendre débiter des propos lénifiants (et simplistes) sur la politique, les gauchistes, les hippies, l’URSS, les Beatles (avec une pointe de jalousie fort mal dissimulée), bref, tout ce qui menace plus au moins la suprématie américaine blanche, c’est drôle mais c’est surtout navrant, on a l’impression d’entendre Eric Zemmour ! Ses rapports avec la communauté noire sont également décris comme ambigus. Apparemment, il ne se sent pas tellement concerné par leur conditions et leurs droits et la communauté noire, se son côté, parait hermétique au succès du King. Ce sont les seuls à ne pas paraitre impressionnés en sa présence. Pour les autres en revanche, c’est l’hystérie permanente. Pas moyen de sortir s’acheter un beignet, pas moyen de prendre l’avion seul, pas moyen de faire quoi que ce soit sans déclencher l’hystérie. Pas étonnant qu’affublé d’une célébrité complètement ingérable, on se déconnecte de la réalité. Michael Jackson se retrouvera dans la même position 20 ans plus tard, pour le même destin et peu ou prou la même fin. Elvis apparait comme un grand gamin bourré d’idées simplistes sur le monde, déconnecté de tout, tellement habitué à tout obtenir qu’il trouve cela parfaitement normal. « Elvis and Nixon » est un film qui n’est pas spécialement tendre avec Elvis (il n’est pas tendre non plus avec Nixon mais ça, c’est presque normal !), c’est un film corrosif pour le mythe Presley, et cela n’est probablement pas la moindre de ses audaces et de ses qualités. Des qualités, il en a d’autres, il est bourré d’un humour décalé assez savoureux et de scènes « pépites », courtes et percutantes (la visite à la DEA, la rencontre avec un sosie de lui même qui ne le reconnait pas, etc…). Du côté des tout petits bémols, on peut trouver que parfois le scénario va un peu loin, que le rythme pourra paraitre lent aux spectateurs biberonnés aux blockbusters trépidants, mais ce n’est finalement pas grand-chose. « Elvis & Nixon » est un film réussi, qui parlera même à ceux qui (comme moi) ne se sentent pas spécialement concernés par le mythe Presley.