Pour son premier long métrage, Fabrice Camoin a choisi d'adapter le roman Dix heures et demie du soir en été de Marguerite Duras paru en 1960. Il venait de mettre en scène deux moyens métrages lorsqu'il a commencé à imaginer une intrigue centrée sur un fugitif. Il s'est alors souvenu du roman qu'il avait découvert lorsqu'il avait 20 ans et qui l'avait marqué : "C’est l’un des livres de Duras où l’histoire est immédiatement lisible : une femme, Maria, croise un homme en fuite qui a tué son épouse et son amant. Le livre a résonné en moi et j’ai repris sa trame, mais en m’en détachant très vite pour en faire une libre adaptation. Comme Maria fantasmant sur ce meurtrier, je pense que j’ai moi-même fantasmé le livre de Duras. Je l’ai réinventé en gardant ce qui me plaisait le plus : être dans le cerveau de Maria, ce personnage de femme plongé dans la confusion de cette petite ville où Nabil a commis un crime", explique-t-il.
Le côté fait divers présent dans le style et les thèmes du livre de Marguerite Duras a profondément séduit Fabrice Camoin : "C’est une facette de Marguerite Duras que l’on oublie souvent, sa manière de fictionnaliser le réel. Je n’ai pas cherché à adapter la langue de Duras mais j’ai tenté de faire vivre les sensations que fait naître le roman", note le cinéaste.
Le roman a déjà été adapté sur grand écran dans Dix heures et demie du soir en été réalisé par Jules Dassin et sorti en 1966. Le film avait pour têtes d'affiche Romy Schneider, Melina Mercouri et Peter Finch.
Le personnage de Maria, qui décide de s’enfuir avec le meurtrier alors qu'elle est avec sa famille sur la route des vacances, est quelqu'un de mal dans sa peau et son mal être passe par l'alcoolisme. Elle trouve l'acte de Nabil (tuer par amour) très romanesque puisqu'en parfaite opposition avec le fait qu'elle n'aime plus son conjoint : "Elle va assez loin pendant ces vingt-quatre heures pour essayer de croire à quelque chose et de partager cette croyance avec quelqu’un qui n’a aucune envie d’être sauvé. C’est une femme qui fantasme en permanence sur ce qui l’entoure, notamment sur ce fait divers sordide."
Dans le roman, le personnage du meurtrier est un paysan du coin tandis que dans le film c'est un ouvrier d’origine maghrébine qui a épousé une Française : "Du moment où il tue, Nabil se retrouve dans les limbes de sa propre existence. C’est un personnage mutique qui n’a plus qu’une envie, mourir, mais il tombe sur Maria qui le force à se sauver… À sa manière, sans avoir de flingue, cette femme braque ce type, l’empêche de se suicider et l’oblige à fuir alors que lui n’a plus d’aspiration à s’en sortir. Très égoïstement, elle s’octroie le pouvoir de différer sa propre mort. Son attitude a quelque chose de monstrueux, mais elle est elle-même tellement perdue qu’elle n’en prend conscience qu’à la fin", avance Fabrice Camoin.
Fabrice Camoin insiste sur le fait qu'il n'a pas voulu faire de Maria une personne dans une déchéance alcoolique totale. Le metteur en scène explique : "L’important était d’arriver par les dialogues et surtout le jeu de Marina Foïs, à faire de Maria quelqu’un de truculent. On a vraiment insisté sur cet aspect du personnage avec Marina. Quand Maria parle de son rapport à l’alcool, ce sont les mots de Duras elle-même. Marina Foïs réussit, je trouve, magnifiquement à incarner ces phrases pourtant très écrites."
Au sujet du personnage de Judith, la fille de Maria, Fabrice Camoin a cherché à faire en sorte que le spectateur sente à quel point cet enfant porte un regard mature sur sa mère : "Judith aime sa maman mais elle ressent la frayeur de l’insécurité et de l’abandon face à elle. Quand elle lui demande de raconter une fois de plus l’histoire de sa naissance, on sent qu’elle a envie de revenir à une forme d’inconscience mais en vain : elle sait que sa mère pourrait bien disparaître à nouveau. Son regard à la fin est plein de clairvoyance et de peur profonde. Et sa mère le comprend. Il ne s’agit pas du tout d’une happy end pour moi. Le face à face de Maria et de sa fille dégage un malaise, une angoisse sourde. La vraie vie commence seulement maintenant. Judith sait dorénavant de quoi sa mère est capable, qui elle est vraiment."