Un super film sur Alan Turing que je ne connaissais pas.
D'abord, ce film nous renvoie à un épisode méconnu de l'Histoire, un service rendu par une poignée d'hommes obscurs qui a joué un rôle important. Turing et quelques mathématiciens ont été recrutés par les services britanniques pour une mission particulière : décrypter Enigma, le mode codifié de communication des nazis qui chaque jour fait l'objet d'une reprogrammation. Plusieurs chercheurs avant eux ont essayé sans y parvenir tant les combinaisons étaient multiples et variables (plusieurs milliards de possibilités par jour). Un véritable casse-tête et un système réputé inviolable. Or, Turing a une idée qu'il propose aux autorités : imiter Enigma dans un sens inversé, créer une machine aussi complexe et rapide non pas pour coder le langage mais pour précisément le décoder. La stratégie est bonne mais le savoir-faire des hommes manque à l'appel et il faut se former, inventer, fabriquer un outil qui n'a pas de modèle. Du coup, il y a des échecs, du retard, des protestations face à la difficulté de la tâche et des tensions, des incompréhensions dans les relations. Or, étant lui-même l'inspirateur et chef du projet, c'est Turing qui affronte ou subit la frustration des collègues et supérieurs qui peinent à croire en lui au point que dans une scène, on voit son commandant donner l'ordre de débrancher brusquement la machine (au risque de la détraquer sous ses yeux alarmés). Quand on sait que près d'un an s'est alors écoulé pour la fabriquer et qu'une fois opérationnelle, elle va réussir le décryptage, on se dit qu'il s'en est fallu de peu...car son impact a été bel et bien décisif pour la guerre. Les alliés par cette machine, ont récupéré des infos sur le mouvement des troupes nazis, les attaques qu'ils préparaient et ont pu ainsi mieux se positionner sur le terrain, davantage riposter. Au point que l'on estime même que les travaux de ces hommes du renseignement, ont écourté la guerre en intervenant dans des batailles comme Stalingrad, les Ardennes, le débarquement de Normandie qui sont d'abord reconnues comme des victoires alliées.
Mais Imitation Game, c'est aussi le portrait d'un homme complexe, tourmenté, génial, seul et arrogant. Souffre-douleur de ses camarades à l'école, Turing a pris conscience jeune du goût des hommes pour la violence, du caractère injuste des rapports de force en société. Un regard blasé, pessimiste teinté de mépris et soutenu par des remarques piquantes ou glaçantes qui agacent beaucoup. Mais Turing n'est pas là pour plaire, ce qu'il convient lui-même : il est là pour faire gagner à condition qu'on écoute et mette en application ses idées. Or, celles-ci laissent perplexes, attirent autant qu'elles repoussent vu qu'elles n'ont pas de références au préalable tout comme elles sont exigeantes à réaliser. Alors ses rapports avec les autres restent tendus même en étant adulte avec une fonction reconnue...Surtout que Turing est un solitaire angoissé : seul chez lui, dans ses affaires domestiques comme dans sa tête face à ses dilemmes. Il lui est vraiment difficile d'aller vers les autres (dont il se méfie au vu de son passé) et pourtant c'est lui qui doit le faire dans le cadre de la réalisation du projet (car les autres, eux, continuent globalement de critiquer). Un portrait touchant aussi vers la fin quand on le voit se confier à son ex-compagne (et sans doute seule amie), sur la mort d'un camarade qui a été son meilleur ami d'enfance alors qu'il est sous le coup d'un nouveau problème : une fois son équipe dissoute après la guerre, les autorités anglaises, plutôt que de récompenser, le condamnent pour outrage aux bonnes mœurs. Le mot de fin du film rapporte même qu'il se serait ensuite suicidé.