Certes, sur le fond, "La Grève" est une propagande communiste, dont le message est aujourd'hui assez dépassé. Mais sur la forme, par contre, ce film est toujours aussi impressionnant!
Premier long-métrage de Sergei M Eisenstein, cette description d'une grève au sein d'une usine tsariste, par des ouvriers se rebellant contre les conditions de travail inhumaines, est filmée avec une maitrise tout à fait bluffante. Par la seule force de l'image, et du montage, le cinéaste russe suggère tout : les rapports de force entre les personnages, le rapport entre l'homme et la machine, l'animalité de l'être humain, la violence des conflits, et bien d'autres choses. Le montage donne un rythme très travaillé au film, et l'association rapide de certaines images créent des sensations et des significations très riches. J'ai l'impression que chaque séquence pourrait être analysé et révéler des éléments. Un exemple parmi d'autres : nous voyons une roue tourner très vite, à l'intérieur de l'usine. Fondu-enchainé sur des ouvriers qui croisent les bras, arrêtant le travail. La roue ralentit et finit par devenir immobile, disparaissant de l'image pour ne laisser que les ouvriers, comme si ils avaient pu lui dicter l'ordre de s'arrêter! La séquence dure peut être 15 secondes, mais tous les enjeux du film y sont suggérés. Quelle virtuosité! Le travail sur les personnages est assez intéressant également. Les ouvriers sont filmés comme une masse assez homogène, aucun d'entre eux ne se distingue réellement. Les seuls individus qui ont droit à une identité propre sont les mauvais : les directeurs, les espions, les policiers, ... une individualité qui est donc péjorative. Cette structure est évidemment cohérente avec le message politique, invitant le collectif à dépasser l'individuel. "La Grève", premier long métrage de Eisenstein, contient donc déjà en elle les germes des futurs chefs d'oeuvre comme "Le Cuirassé Potemkine" ; qui iront encore plus loin dans la virtuosité des images. Un film révolutionnaire dans tous les sens du terme!