2017 semble se concrétiser comme une année où les longs laps de temps n’ont peur de rien. Danny Boyle revenant avec la sortie d’une suite de « Trainspotting », Ridley Scott ressortant le xénomorphe du placard avec « Alien : Covenant », la diffusion de la saison trois de « Twin Peaks » cet été, et ne parlons pas de l’industrie musicale… La sortie de « Blade Runner 2049 », pas moins de trente-cinq années après celle de « Blade Runner », se justifie par le fait que ce dernier se suffisait à lui-même. D’ailleurs, il semblait difficile d’envisager une suite au chef-d’œuvre de Ridley Scott. Comment rester fidèle à un tel film tout en lui apportant une continuité ? C’est, certainement, l’une des premières questions que s’est posé Denis Villeneuve, qui cadre cet opus avec une humilité quasiment déconcertante. Il le sait, « Blade Runner 2049 » n’existe que dans l’ombre de son prédécesseur, et la réussite du film ne tient que dans sa limpidité. Et pourtant, si l’on devait énumérer une kyrielle de défauts, c’est dans le scénario que l’on commencerai à piocher. Clichés propres à la science-fiction (intrigue autour d’un Élu, rapports conflictuels entre le père et le fils), aucune densité narrative, pas de dialogues didactiques, absence de lyrisme etc. Des arguments qui tiendraient la route si l’intérêt du film n’était pas ailleurs. Car « Blade Runner 2049 » est en permanence dans le refus de la surenchère, cultivant un aspect vintage et des visuels flirtant parfois avec l’expérimentation.
Tout d’abord, comment de pas succomber à un frisson lorsque l’on retrouve cette Californie rétro-futuriste dystopique ? Denis Villeneuve nous caresse dans le sens du poil dès le départ, sans pour autant se soumettre à la facilité. Le réalisateur atteint un degré de formalisme absolument incroyable, et un niveau de sophistication visuelle purement ahurissant. Il n’y a pas à dire, « Blade Runner 2049 » fait aussi bien revivre les lignes de force de « Blade Runner » qu’il s’avère comme étant une gifle esthétique d’une rare intensité. Bien plus que l’action, la contemplation est mise en exergue, et « Blade Runner 2049 » étonne de part sa façon d’aller systématiquement à contre courant des blockbusters récents. Les travellings et les plans séquences sont privilégiés par rapport aux montages effrénés et aux effets spectaculaires tsoin-tsoin badaboum. Ce futur, nous l’apprivoisons, mais avec patience, puisque le film nous immerge dans son intrigue avec une lenteur parfois presque forcée, ainsi qu’une pétulante froideur.
Cette course-poursuite crépusculaire interpelle directement l’autre coté de l’écran. Le monde post-apocalyptique de « Blade Runner 2049 » ne semble pas avoir un quelconque rapport avec le notre, sauf les marques. Les placements de produits sont ici très présents, ce qui fait appel à une ironie sibylline. À ce titre, Jared Leto est monstrueux dans le rôle de ce magnat de la technologie aveugle, aussi puissant à l’intérieur qu’il est vulnérable à l’extérieur. Le capitalisme est ici encore plus envahissant qu’en 2019, et Denis Villeneuve ne se prive pas de mettre en scène cette société orwellienne comme l’aurait fait un certain Fritz Lang. Et en parlant de Fritz Lang, Villeneuve n’hésite pas à rendre ses lettres de noblesse à l’esthétique des vieux films de science-fiction, en la réinitialisant à l’aide d’un lourd budget numérique. On le sent prendre du plaisir à filmer ces objets et ces formes, des voitures volantes aux grattes ciels en passant par les disquettes, les assiettes, les cigarettes et les marmites.
« Blade Runner 2049 », écrit pas les mêmes scénaristes que « Blade Runner », n’oublie pas l’une des thématiques principales de ce dernier : la mélancolie du temps perdu. Encore plus proustien que le film de Ridley Scott, « Blade Runner 2049 » met en scène un nouveau type de personnage : les hologrammes. La compagne de Ryan Gosling n’est autre que l’une de ses copies. Sur ce, impossible de ne pas songer à « Her » de Spike Jonze. D’ailleurs, on regrette que le film n’explore pas davantage cette romance entre un replicant et cette projection d’Ana de Armas. Et l’amour est une thématique que « Blade Runner 2049 » n’hésite pas à aborder souventefois, qu’il s’agisse des flashbacks sublimes, où l’on retrouve notamment Sean Young dans une apparition fortuite, ou de l’amour du parent à l’enfant, qui est également une thématique centrale. La plus belle scène du film est sans aucun doute celle où l’hologramme d’Ana de Armas essai de se superposer à une humaine afin d’avoir l’illusion de devenir une matière organique. La longue séquence qui en découle est une pure merveille de cinéma, symbolisant à elle seule le film tout entier : « 2049 » est une copie irréelle et dispensable, un pur produit du capitalisme, mais doté d’une âme, et, il faut le dire, de beaucoup de charme.
Si l’on partait confiant, il faut l’assumer d’emblée, dans nos rêves les plus fous, nous ne nous attendions pas à une telle facture. Pure film d’abstraction, « Blade Runner 2049 » est une expérience hallucinante, trouvant sa seule limite dans le fait qu’il est condamné à être la suite d’un joyau du cinéma. Ryan Gosling apporte son cachet mystérieux, derrière son personnage presque vulnérable que nous explorons de l’intérieur. Renaissance de l’espèce, démesure, allégorie, onirisme, mais aussi des scènes d’action aussi rares qu’elles sont sublimes. « Blade Runner 2049 » est bouleversant, tétanisant de beauté, sidérant de splendeur et d’audace. Quête identitaire au milieu d’une humanité poussiéreuse, ce film matriciel se classe d’emblée comme une odyssée glaciale, spectrale et sensorielle. Amertume, brutalité, et grâce absolue. Vertigineux drame intime doublé d’un blockbuster à l’élégance rare. Dévastateur.