Sophie Letourneur – nom qui la prédestinait à une carrière de cinéaste – est une maligne. Les Coquillettes, son nouvel opus, en est la meilleure preuve. Crachant dans la soupe qui la nourrit, elle le fait néanmoins avec humour et dérision, s’incluant elle-même avec malice dans ce triple portrait de filles trentenaires – donc la réalisatrice et ses deux comédiennes – se remémorant lors d’une soirée cocooning alcoolisée et enfumée leur escapade de l’an passé au festival de Locarno. Sous prétexte d’y venir présenter leur travail, les trois copines ambitionnent de faire la fête, de se taper des mecs. Bref, de prendre du bon temps.
Tout ceci pourrait être horripilant, sans intérêt, creux et lassant s’il n’y avait une réelle qualité d’écriture et d’observation, un regard faussement candide et vraiment acide sur un certain milieu du cinéma branché qui s’incruste dans les festivals, surtout les soirées et les mondanités, un peu moins dans les projections. La réplique la plus drôle résumant parfaitement l’état d’esprit : « Je ne sais pas quoi faire cet après-midi, je m’ennuie, je vais aller au cinéma ». Préoccupées par leur nombril, les trois filles exagérant en permanence les péripéties dérisoires qui ponctuent leur séjour se la racontent grave dans une surenchère ridicule et comique. En face d’elle, les mecs, dragueurs pitoyables, ne sont guère mieux lotis. C’est donc tout ce petit monde égocentrique et volage, superficiel et le plus souvent vain, qu’ausculte la réalisatrice de La Vie au ranch. L’inconsistance de l’ensemble finit paradoxalement par lui donner de la matière dans un montage très saccadé où chaque réplique semble servir de rampe à la suivante sans que, pour autant, les personnages prêtent réellement attention aux propos des autres. C’est le royaume de l’individuation dans toute sa splendeur, où les autres ne sont plus que des instruments de la quête personnelle. Sophie, Carole et Camille sont tellement bêtes et artificielles qu’elles en deviennent touchantes. Passé l’agacement, on éprouve, ce qui n’est peut-être pas mieux, une certaine pitié, sans être dupes non plus qu’il y a ici beaucoup de ruse et de jeu. Les trois filles sont loin d’être moches, elles ont parfaitement intégré cet univers à la mode et codifié de faux-semblants, balisé par l’ingurgitation constante d’alcool, des projets de coucheries et des envois ininterrompus de messages stupides. Les Coquillettes, c’est un film terriblement bobo parisianiste, mais délocalisé. La cerise sur le gâteau.
Puisqu’elle jette le reste du plat de coquillettes à la poubelle, on veut voir dans ce geste l’intention pour Sophie Letourneur de passer à autre chose et d’abandonner ainsi les œuvres régressives et légères, sympathiques mais dispensables. La fête est terminée, il est donc grand-temps de se mettre à travailler avec un peu plus d’ardeur et de fond.