De ces films essentiels dont on ressort groggy. Les noirs sont épais comme des ciels saturés ; des noirs de peintures, de suie, telluriques. Les blancs sont calcinés, impurs. Comme un capteur sensoriel, la caméra de Sylvain George enregistre avec une acuité atypique la présence sur cette portion du territoire français, de ces groupes de jeunes hommes, d'adolescents mêmes, qui ont abouti ici après des milliers de km parcourus à pieds, dans le désert, sur les routes du monde en guerre, en camion, bateau, etc. - Risque - Gros grain qui se pixelise au moment où la moindre particule se met tout à coup à vibrer lorsque la police entre dans le parc pour se mettre en chasse des migrants ; le vent à souffler dans les arbres ; même les flasques d'eau du square publique transmettent l'onde de choc ; tout, le moindre détail, jusque l'anfractuosité des bâtiments industriels, leurs textures, les inscriptions sur les murs (W.B. 1940), les slogans cyniques des affiches publicitaires qui servent de matériaux aux abris de fortune, un sac plastique déchiré qui flotte accroché à une branche, linges abandonnés, baskets, matelas. Poésie ardue cueillie parterre à la volée ; des blocs de beautés abrasives, livrés avec force, violence politique, qui s'entrechoquent, s'animent, s'attardent, ralentissent comme un poids lourd à un carrefour... vous remuent les tripes. Abrasives comme les lames de rasoir, les vis chauffées à blanc où la peau des doigts est scarifiée, striée de brûlures pour échapper à toute identification par le fichier européen centralisé des empreintes. Illusion policière du contrôle de ce flux. Cette scène de toilette au bord du canal semble tout droit sortis d'un Renoir. Baignade, chants, reflets, l'eau ruisselle sur les corps musclés au soleil. On se croirait dans le sud de l'Italie, des images retrouvées de Pasolini, mais un beffroi dans le plan suivant nous re-situe la scène. A l'autre bout du film, le même lieu l'hiver, enneigé. Plus personne dans l'eau, aucun chant. On ne lave que les visages. Le silence en dit long sur l'usure, la fatigue, le froid - Contre plongée - Beaucoup de visages, souriants, déterminés ; peu de nom. Des silhouettes furtives, des bribes de témoignages, des photos déballées à même le sol, à vous arracher les larmes, puis cette personne avec qui l'on vient tout juste d'entrer en rapport disparait sans prévenir sous les essieux d'un camion, dans un fourrée, dans la nuit noire, devient une capuche que l'on voit se faufiler le long de rampes de béton, de grillages. Disparition soudaine, à la fois légère et brutale. On ne les reverra plus - La Vie Nue - Sylvain George ne se sert de personne, ne met aucun discours dans la bouche de personne, au contraire : il a collecté patiemment à travers son filtre DV ce(ux) qui passe(nt), avec infiniment de tact, sans modifier d'un iota la trajectoire vitale, énergique de ces jeunes hommes en mouvement, debouts, droits - Passages - Et pourtant c'est inscrit pour toujours ; et cette matière incandescente est projetée actuellement sur un seul écran à Paris. Immense film ; le film de l'année