J'y allais vraiment en reculant, vers ce 12 Years a Slave aux allures de brulôt moralisateur typiquement hollywoodien. En apparence (et un peu quand même), un énième film pour nous dire que l'esclavage c'est mal, assez honteusement dissimulé derrière un fait réel (surprenant, c'est vrai), c'est-à dire l'histoire d'un noir américain libre, enlevé puis soumis à 12 ans d'esclavage. Regardez, semble nous dire McQueen, j'innove, je parle cette fois de quelque chose de nouveau ! Dans un premier temps, le prétexte est très dérangeant, tout simplement parce qu'il parait bel et bien confirmer qu'il en est un, vite balayé qu'il est pour se concentrer sur ce qui peut sembler pendant le début de son déroulement l'unique sujet du film ; l'ignominie de la pensée, du système, et des pratiques esclavagistes. Un prétexte racoleur donc, mais aussi dérangeant, dans la mesure où j'ai l'impression que McQueen cherche à toucher en créant un lien avec son public via un personnage de sa condition, qui n'est pas né esclave. L'idée me foutait assez la gerbe, car elle me paraissait elle-même créer des différences entre les afro-américains selon leur condition, et me prendre pour un tocard incapable d'empathie pour les esclaves nés (c'est personnel hein, pas la peine de penser que je généralise). Heureusement, et c'est là que 12 Years a Slave finit par prendre tout son sens, il raconte bien plutôt une histoire humaine de très grande envergure, sur la lutte de la dignité contre la perversion, de la vie contre le déni qui lui est parfois imposé, cette féroce empoignade de la lumière face à l'ombre que répand parfois ce monde si insensé. Un entremêlement de parcours individuels poignants suivis selon le fil conducteur de Solomon et son chemin de croix vers le regain de sa liberté. 12 Years a Slave raconte finalement la vie, et les films qui me donnent cette impression ont déjà beaucoup gagné. Bref, cette (longue) introduction à ma critique est un mea culpa, moi qui m'étais légèrement fourvoyé quant à la nature réelle de ce que j'avais sous les yeux pendant un bon moment. Mais McQueen réussit un coup de force, celui de s'imposer au regard, au jugement. Sans verser dans la mauvaise foi absolue, je crois qu'il est difficile de ne pas trouver de qualités à son pamphlet. Même si ses détracteurs sont quand même (et c'est malheureux) quelque peu excusables, puisque ce produit calibré oscars n'oublie pas par moments l’agaçante manie de verser dans le manichéisme, je pense par exemple au personnage de Paul Dano, unidirectionnel. Brad Pitt n'est pas mal non plus, dans le genre. Mais quand même, la plupart du temps, 12 Years a Slave parle beaucoup, questionne large et ne bâcle pas ses idées. Il parle même sacrément bien, filmé qu'il est par le grand chef d'orchestre qui le met en scène. Là aussi, l'académisme de McQueen peut décevoir, agacer. On retrouve quand même quelques uns de ses plans fixes qui transposent de splendides vues du Sud américain, comme pour rappeler que la vie pourrait être si belle si les hommes ne s'évertuaient pas à la gâcher. Fixes j'ai dit, pour bien rappeler aussi à quel point l'univers de ces hommes et ces femmes honteusement privés de leur(s) liberté(s) était fermé, sans possibilité de fuite. Ces splendides paysages font me semble t-il profondément sens, comme des mirages inaccessibles, un éden à portée de main et pourtant si désespérément hors d'atteinte. Puis plastiquement, ils sont sublimes, comme je l'ai déjà dit, et McQueen m'emmènera quand il le souhaitera pour une promenade à la Jeff Nichols ou à la Terrence Malick ! Le britannique est en plus de ça un très bon directeur d'acteurs (quasi un sans faute pour le casting, impressionnant sur le papier il faut dire - Fassbender est d'une intensité folle) et amène ses idées et ses questionnements avec force et facilité, comme toujours. Il a vraiment un talent, celui de ne rien forcer sans perdre en pouvoir sur le spectateur. C'est ce qui aide à faire passer la pilule moralisatrice, que je ne peux pas totalement oublier. En plus, les prétentions historiques finissent par se justifier. Steve McQueen est donc vraiment un cador, même si le projet de base reste sans doute discutable sur quelques points. Je ne dis pas que 12 Years a Slave manque de réalisme, loin de moi cette idée, mais je regrette ses quelques concessions et de ne pas y retrouver toute l'âpreté de Hunger ou de Shame. Beau et rondement mené, malgré tout.