Sono Sion a réussi au fil du temps et des films à se créer une réputation solide à travers les différents festivals internationaux. Il faut avouer que son côté rageur apte à critiquer sans retenue tout ce qu’il considère comme un travers de notre société est véritablement agréable pour tout cinéphile visionnant l’un de ses bébés. Avec son nouveau film, "Himizu", Sono continu son exploration de la famille japonaise qu’il avait commencé avec ses précédents films : "Cold Fish" et "Guilty of Romance". Dans le premier, on s’intéressait à l’image du père de famille, de son rôle de protecteur et de sa virilité ; et dans le second, aux différents visages de la femme japonaise, à la fois épouse soumise, mère aimante et femme fatale. Avec "Himizu", c’est au tour des enfants d’être « disséqués » à l’image. Et comme toujours, Sono joue sur la corde dramatique en choisissant de placer son film juste après le terrible tsunami de 2011 : le film débute sur un magnifique et long travelling nous dévoilant un paysage apocalyptique, une désolation rempli de débris et de boue sur lequel se joue le requiem de Mozart. Le ton est donné : le malaise est présent, on se prend en pleine face le trauma qu’à subit les japonais ce fameux mois de mars. On suit alors l’histoire de deux jeunes ados qui ont été touchés par le sinistre : Yuichi Sumida, jeune lycéen désabusé qui ne rêve que d’être quelqu’un d’ordinaire, chose difficile puisqu’il vit seul entouré d’autres sinistrés depuis que son père a quitté le foyer (ne réapparaissant de temps à temps que lorsqu’il a besoin d’argent) et que sa mère s’est enfuie avec son amant ; et Keiko Chazawa, une jeune fille optimiste (naïve ?) qui n’a d’yeux que pour lui et qui ne rêve que de rester tout le temps à ses côtés. Connaissant le côté nihiliste de Sono (y’a qu’à regarder sa filmographie !!) et le manga éponyme dont "Himizu" est adapté, on aurait pu s’attendre à un nouveau brûlot de la trempe de "Cold Fish" ou "Guilty of Romance" en matière de scène chocs et propos acides. Je vous rassure, la violence est présente dans "Himizu", incarnée à l’écran par les personnages qui viennent troubler la vie de Sumida, par le fait que la société laisse carrément de côté tous ceux qui ont été victimes de la catastrophe, par le père de Sumida qui souhaiterait le voir mourir pour toucher l’assurance-vie afin de rembourser ses dettes, par les parents de Keiko lui construisent une potence afin qu’elle se suicide pour ainsi effacer leurs soucis (si c’est pas nihiliste ça !!). La métaphore est tout de même assez claire ici : la société a explosée et la famille s’écroule, toutes deux opèrent sur les individus comme un rouleau compresseur, tout comme l’a fait la gigantesque vague. Et c’est pour cela que Sumida est envahit par une forte pulsion de suicide : il est, tout comme le Japon, au bord de l’apocalypse. Mais malgré la présence de cette violence, Sono ne développe pas son histoire en empruntant une descente constante vers les abysses comme dans ses autres films ; il se sert du jeune garçon au bord de la rupture pour justement crier son désir de révolte : le Japon doit se ressaisir et pour cela se faire violence tout comme Sumida justement lorsque ce dernier se tartine le visage de peinture et devient une tache multicolore au milieu d'une ville japonaise entièrement grise, une tache qui hurle et qui court. Il ne s’agit ni plus ni moins de la théorie de la création du nouveau monde par la destruction de l’ancien. Le tsunami était peut-être un bien pour le renouveau du pays…Certes, en optant pour ce développement, Sono se détourne du manga original dans lequel rien ne pouvait insuffler de l’espoir, nous précipitant vers une fin sans échappatoire ; il parvient donc à la transformer en une sorte de course effrénée vers l’espoir d’un futur meilleur pour la nation nippone toute entière, comme nous le démontre la magnifique dernière scène où Sumida choisit de vivre et se met à courir vers son destin accompagné de Keiko qui l’encourage de tout son cœur (scène bouleversante et d’une puissance émotionnelle rarement vu chez Sono !!). Certains y verront une trahison de Sono pour son matériel d’origine, voire même une trahison envers ses propres œuvres qui étaient toutes aussi engagées sans jamais jouer la carte de l’idéalisme ; mais je pense sincèrement que Sono ne voulait pas en rajouter une couche à ses compatriotes meurtris en les accablant que plus. C’est bien plus intelligent qu’il n’y paraît et ne fait pas pour autant de "Himizu" un mauvais film, bien au contraire !!
Même s’il n’est pas son meilleur film ("Cold Fish", "Guilty of Romance" et "Love Exposure" sont un cran au dessus), "Himizu" est sans conteste l’œuvre la plus émouvante et bouleversante de Sono Sion : baignant totalement dans le trauma du Tsunami que le Japon porte encore en lui, il nous livre un film à la fois fou et mature, véritable requiem lyrique porteur d’un message d’espoir en l’avenir. Magistral.