L’argentin Andrés Muschietti a réalisé en 2008 un court-métrage d’à peine trois minutes, Mama, dont les qualités avaient convaincu Guillermo del Toro de produire une version longue du film. Dans le Mama de 2008, une petite fille réveille sa grande sœur au beau milieu de la nuit en lui disant que ”Mama” est revenue. Elles descendent les escaliers d’une grande maison vide, et, dans une pièce au bout du couloir, elles aperçoivent la silhouette d’une femme. La figure est menaçante. La musique est sourde. Quelque chose va arriver. Mama sort de la pièce et surgit à toute vitesse en direction des petites. Elle est pieds nus, son corps est difforme. Les filles hurlent et remontent à l’étage. La plus jeune claque la porte de la chambre et laisse l’autre sur le seuil. La fille regarde Mama s’approcher d’elle. Sa démarche est désarticulée, son visage est hideux. La musique s’affole. La petite hurle. Fin. On retrouve, à quelques détails près, la même scène dans le long-métrage de Muschietti, qui est donc une version augmentée, explicitée, reformulée, de cette scène originelle.
Après avoir pété un plomb et tué sa femme et des collègues de boulot, Jeffrey (Nikolaj Coster-Waldau, plus connu sous le nom de Jaime Lannister) s’enfuit avec ses deux filles, Victoria et Lilly. Ils ont un accident sur la route et trouvent refuge dans une cabane au bord d’un lac au milieu de la forêt. Là, le père veut tuer ses filles et se suicider, mais le fantôme de la cabane le tue avant. Cinq ans plus tard, deux hommes payés par Lucas, le frère jumeau de Jeffrey, pour retrouver la trace de ce dernier et de ses filles, découvrent la cabane dans les bois. Les deux petites sont retournées à l’état sauvage, et prétendent avoir été élevées par ”Mama”, une mystérieuse présence surnaturelle. Lucas et sa petite amie Anabel (Jessica Chastain, caméléon) sont deux adulescents. L’un est dessinateur, l’autre guitariste dans un groupe de rock. Pourtant, le psychiatre qui se charge des petites leur confie la garde et leur prête une maison pour les élever dans de bonnes conditions. Bien sûr, comme c’est souvent le cas dans les familles recomposées, l’un des parents a du mal à s’adapter, et cette nouvelle garde partagée se passe mal, car ”Mama” est jalouse et possessive.
L’enfance est l’un des thèmes fétiches du cinéma d’horreur. L’enfant est innocent, fragile, sans défense, face au mal et à la corruption du monde adulte. Mais ce qui est intéresse le cinéma d’horreur, c’est l’inversion, ou la perte, des valeurs, le côté diabolique de ces chères têtes d’ange. Le trope de l’enfant-victime et de l’enfant-tueur est presque aussi vieux que le genre lui-même. Passée l’ambiguïté initiale, le film choisit de tendre vers l’enfant-victime, dont il ne faut pas se protéger mais qu’il faut protéger. Le film, assez banal, est plein des clichés et rebondissements propres au genre : la cabane dans les bois, la visite de la cabane en plein milieu de la nuit, les enfants bizarres, les poupées horribles, le fantôme dans le placard, la mère folle, la musique bien appuyée, etc. Mais ces stéréotypes sont assumés, et ça fonctionne quand même. La mise en scène, sans être originale, est soignée et efficace. Tout l’intérêt du film à mon avis tient dans le traitement de ses personnages. Malgré le peu de dialogues et d’action, Muschietti réussit à créer des personnages attachants et ”vrais”. Ils sont dans un juste milieu. On y croit. On s’y attache. Aucun n’incarne le mal absolu. Même ”Mama” est ambivalente, à la fois maternelle et destructrice. Le film est moins un film d’horreur qu’un film angoissant. Quelques trouvailles sont intéressantes, notamment la concrétisation physique du thème de la maison hantée. Muschietti joue sur l’ambiance et l’atmosphère, avec ce qui est là, latent, qui observe et qui tue non par plaisir, mais parce que ”ça” souffre. Ça vit dans les murs, ça devient les murs, ça les pourrit. Ça vit dans le cadavre, mais ce n’est pas la vie, ça n’est jamais que la mort articulée. Ça prend possession des rêves, mais ça reste étranger au monde des vivants. Il n’y a que l’enfant avec qui ça peut communiquer, et qui peut encore l’aimer, parce que seul l’enfant voit le mort et le vivant comme deux choses différentes mais égales. La fin, tellement éloignée des conventions hollywoodiennes, suffirait à elle seule à sauver le film. Mais elle n’est pas seule. Il y a de la beauté dans Mama, un amour impossible, une poésie noire et inquiétante.