Il y a deux veines dans la filmographie des frères Coen, bien connue de leurs fans.
Une veine ironique, cynique, délirante, mais toujours impitoyable avec ses personnages, qui a donné lieu à des chefs d'œuvres comme Fargo, The Big Lebowski ou encore O'Brother. C'est la plus connue, mais elle ne doit pas éclipser le reste de l'œuvre du duo, plus mélancolique, plus fine, plus intérieure, à qui on doit de très grands films comme Miller's Crossing et The Barber (ou encore le récent Sérious Man dont je ne suis pas un fan absolu).
C'est clairement dans cette seconde veine que s'inscrit Inside Lewyn Davis. L'histoire triste et belle d'un looser absolu, qui ne nous est pas contée pour s'acharner sur lui et la cruauté de son sort, mais bien pour en ressortir tout ce qui est beau, tragique et inévitable dans l'échec.
Car il a du talent ce Lewyn Davis, on l'entend dès les premières notes, dans un magnifique chant folk filmé en clair obscur, dans un petit bar de New-York. Mais il a une poisse absolue, qu'il courre après un chat récalcitrant, qu'il cherche un toit différent sous lequel loger tous les soirs, ou qu'il tente vainement de retrouver ses papiers pour ne pas avoir à repayer sa cotisation au syndicat
Les ressorts comiques et situationnels sont imparables, et pourtant d'une légèreté, car les frères Coen emplissent de tendresse et de bienveillance la trajectoire de ce raté pas toujours facile à vivre. On rit à ses dépends, mais on a froid avec lui sous le blizzard New-Yorkais et l'on a peur avec lui dans cette belle virée à Chicago en compagnie d'un chauffeur mutique et d'un producteur junkie.
Même si tout cela semble ne pas avoir de but, le défilé de seconds rôles donne au film une grande cohérence. Carrey Mulligan, merveilleusement odieuse, Justin Timberlake, idéalement superficiel, Adam Driver, échappé de "Girls", en cow-boy régressif, et bien sur les vieux de la vieille Goodman et Abraham, l'un impayable en producteur désagréable, l'autre intense en statue de cire...
Comme une chanson, de folk, le film est long, étiré, pas toujours très rythmé. Mais comme tous les films mélancoliques des frères Coen, il faut se laisser porter par cette nonchalance, par cette histoire qui tourne sur elle-même, pour mieux apprécier la finesse et la beauté de séquences qui semblent parfois anodines, et qui sont d'autant plus belles que la musique est toujours merveilleusement adaptée.
Lorsque Lewyn joue avec toute son âme son plus beau morceau seul à seul avec un grand impresario, lorsque chacun des regards du professionnels prédit la fin, on assiste peut-être à la plus belle scène d'échec jamais filmée. Et quand une tête frisée bien connue apparaît sur la scène du bar, quand cette voix nasillarde inimitable se fait entendre, chacun peut mesurer le millimètre qui sépare le plus grand des succès du plus pathétique des échecs...