Petites considérations sur le titre tout d’abord. « To have the jitters » : “avoir les chocottes”, ou encore « avoir le trac » dans notre langue… En fait, dans le contexte du film, « Jitters » signifie plutôt « secousses », celles ressenties par Gabríel pour la première fois quand il embrasse Markús, son premier émoi sensuel. Ce « Jitters » est le premier long métrage de Baldvin Zophoníasson, dit « Baldvin Z » (ainsi indiqué au générique), « pubard » polyvalent et auteur de clips, après un « court » en 2009 (Hótel Jörð). Outre une diffusion internationale plus facile (l’islandais est plutôt hermétique et n’est parlé que par 300.000 locuteurs environ) le titre se justifie aussi par un début de récit en Angleterre – mais la traduction française d’ « Órói », le titre d’origine, semble bien être « tourmente », ce que l’histoire justifie également. « Ils disent que l’adolescence est le plus bel âge de la vie, que l’on n’a aucun souci, que l’on n’a pas à penser à l’avenir ». Cette citation empruntée au célèbre réquisitoire de Victor Hugo contre la peine capitale « Le dernier Jour d’un Condamné à mort » (1829) est toujours d’actualité, qui a tout de l’antiphrase en mode amer sous la plume supposée d’un jeune homme à quelques instants de monter à l’échafaud. Ce n’est pas toujours facile d‘avoir 16 ans (même dans une configuration heureusement plus anodine !). Que d’inquiétudes, de mal-être, de questionnements.... Voyez donc Gréta (Birna Rún Eiríksdóttir) qui cherche son père, Stella (Hreindis Ylva Garðarsdóttir) qui cherche l’amour, et bien sûr Gabríel, qui se cherche tout court depuis son coup de foudre anglais pour Markús. Ces trois quêtes majeures vont faire l’ossature du film, chacune rendant indispensable une remise en cause de l’entourage familial : Gréta trouve une colocation et identifie rapidement grâce à Internet Haraldur (Gísli Örn Garðarsson) comme géniteur probable quand sa mère alcoolique et volage qu’elle veut fuir ainsi lui confie enfin une photo et un nom, Stella fuit de son côté la grand-mère ultra protectrice chez qui elle vit depuis la mort de sa mère (Gabríel, et pour cause, ne pouvant passer du stade de « meilleur » ami à celui de « petit » ami selon ses souhaits, quid de l’option Mitrovik, son collègue russe ?) et Gabríel ne pourra affirmer son orientation sexuelle qu’en affrontant sa mère qui veut tout régenter, jusqu’au ridicule (voir pour illustration les simulacres de « dialogue familial » avec son ex-mari et l’actuel, convoqués régulièrement pour statuer sur la conduite du garçon). On ne peut que remarquer que le monde adulte proche se réduit pour les trois adolescents, ou à la caricature (les figures maternelles sont démissionnaires ou abusives) ou à l’absence (Stella est née de père inconnu, Gréta se heurte au peu d’enthousiasme de celui qu’elle s’est trouvé, quant à Gabríel, les deux à sa disposition sont des plus effacés). Pas facile de se construire dans de telles conditions : sans modèles solides, ni soutien des aînés ! D’autant que les jeunes Islandais grandissent au sein d’une société très permissive : ils sont autonomes très jeunes, ayant l’habitude de se prendre en charge financièrement si nécessaire, ont majoritairement des relations intimes dès les premières années de collège, et s’adonnent sans complexe au « binge drinking » à la première occasion. Rien que de comparable avec les autres pays occidentaux sans doute, mais cette tonalité du « cool » généralisé semble cependant un rien trop accentuée dans cette communauté nationale-là, et réalité « documentaire » ou pas, toujours est-il que nos trois jeunes héros ne semblent pas vraiment s’y épanouir ! Le cas le plus dramatique à cet égard est évidemment celui de Stella, que la perte accélérée de fragiles repères (au premier rang desquels l’attention de Gabríel qui lui fait défaut), le stress amplifiant du hold-up à la supérette où elle est caissière, et des sentiments malmenés, vont pousser à toute extrémité. Voilà les causes possibles du suicide de la jeune fille, mais on pourra regretter que le metteur en scène néglige d’expliciter la maturation psychologique ayant conduit à un geste fatal qui paraît, ce faisant, trop brutalement asséné au spectateur. Isolons maintenant le cas de Gabríel (Atli Oskar Fjalarsson). Un certain malaise s’installe à son retour d’Angleterre, tout le monde le trouve changé. Que s’est-il passé là-bas ? Sa mère pense à la drogue, ses copains notent aussi une différence d’attitude, même si impossible à qualifier. Lui, le confident de tous, est-il aussi disponible et à l’écoute qu’à l’accoutumée ? Obnubilé par une orientation sexuelle à laquelle il tente de résister, épuisé autant que frustré par son jeu de cache-cache avec Markús (Haraldur Ari Stefánsson), il va passer comme indiqué plus haut à côté de la souffrance de Stella. Il comprend qu’il doit s’avouer (et avouer) ce qu’il est. Cependant, on peut s’étonner de ses réticences en la matière. Condamnation sociale de l’homosexualité ? L’Islande est au contraire très tolérante à ce sujet. En effet le 27 juin 2010 entrait en vigueur la légalisation du « mariage gay » après un vote unanime de l’Althing (le Parlement islandais) et le même jour la Première ministre du pays s’unissait à sa compagne ! La circonstance que le film ait été tourné un peu avant ne change évidemment rien à la donne. Alors comment expliquer ce « coming-out » dans la douleur ? On doit en chercher les raisons dans le vécu du jeune homme. L’hostilité prévisible de sa mère d’abord, qui paraît cadrer avec la volonté de cette dernière de piloter la vie de son fils à sa guise (on peut douter qu’un rejeton « gay » corresponde à l’avenir qu’elle lui imagine). Mais aussi une confusion des sentiments, entretenue par le coït de Markús avec une fille dont il est le témoin embarrassé lors d’une de ces fêtes alcoolisées dont la jeunesse islandaise est si friande. Ebloui par sa découverte sensuelle (les fameux « Jitters ») dans les bras d’un garçon (alors que l’on croit surprendre au détour d’un dialogue qu’il n’a bien jusque-là goûté au sexe qu’en version « straight »), il est déboussolé quand il constate de visu que l’objet de sa flamme apparemment aime aussi les filles. Aussi ? Peut-être même uniquement - l’épisode mancunien étant dû alors à l’égarement d’une soirée trop arrosée, voire à une simple curiosité malsaine de la part de Markús. Cette « analyse » paraît vraisemblable quand on se rappelle que Gabríel ne refuse pas tout contact avec ce dernier dès leur retour en Islande, mais seulement après la fête. Markús l’apprenti-coiffeur a eu d’abord le loisir d’exercer ses talents sur lui : après l’avoir « relooké » éphémèrement en Angleterre en l’ébouriffant avec art, il fait à Gabríel une nouvelle coupe et le « mèche » (métaphore visuelle de leur rapprochement : des touches du blond de Markús le déluré dans la chevelure « déconstruite » du brun et réservé Gabríel, accentuant d’ailleurs l’aspect lunaire du garçon, façon « oisillon tombé du nid », comme s’en amuse Heddi). De nombreux SMS plus tard, et l’équivoque de la passade hétéro levée, Gabríel prendra enfin son envol, reconnaissant en présence de ses amis qu’il est bien « gay » comme Markús vient de le claironner. Reste à aviser sa famille (enfin, sa mère surtout) : le film s’achève sur la présentation de «Markús, mon ami ». Gabríel a ainsi accompli une étape décisive de sa jeune vie. Cette petite chronique d’apprentissage à l’islandaise, à la sobre mise en scène, est à la fois attachante par les caractères présentés et exemplaire de questions universelles, douloureuses comme le mal-être (y compris au prix de la vie-même) ou plus légères, comme les premiers émois amoureux (la « variable » homo ne changeant rien au fond de ce genre de tourments). Quelques réserves cependant : le jeu inégal des jeunes interprètes (les filles en particulier moins convaincantes), alors que les adultes sont parfaits (Þorsteinn Bachmann dans le rôle de Benedikt le père de Gabríel a d’ailleurs reçu l’équivalent islandais du César du Meilleur Second rôle masculin), et la caméra s’attardant un peu trop sur les scènes de beuveries, dans le même temps où le maillage psychologique mériterait d’être plus resserré. Imperfections sans doute d’une première réalisation.