Dark Horse, c'est l'outsider, celui dont les chances de réussite sont limitées mais pas nulles. Le personnage d'Abe a longtemps été considéré par son père comme l'outsider derrière son frère, Richard, le favori, le fils prodigue. Puis l'outsider a progressivement été rétrogradé dans la catégorie des losers. Il faut voir le regard que porte le père (Christopher Walken dans un contre-emploi étonnant) sur son fils (Jordan Gelber, révélation du film), mélange de stupéfaction, de dépit et de haine. Drôle et tétanisant. Il faut dire qu'Abe a très peu de qualités : ado attardé, beauf en puissance, frustré, fainéant, incompétent, prétentieux, méprisant... Le réalisateur Todd Solondz a toujours aimé les personnages peu aimables, sur lesquels il porte un regard acéré. C'est ce qui fait le sel et l'audace de son cinéma. Ce personnage et son histoire ne sont toutefois pas les plus terribles de sa filmo (voir Happiness, Storytelling...). Il n'est pas question ici de viol, d'inceste ou autre horreur larvée dans un giron familial. Ce qui intéresse cette fois le cinéaste, c'est de brosser le portrait d'un Américain moyen, représentatif d'une génération de trentenaires surprotégés et paumés, suffisants et nuls. Abe trouve d'ailleurs son pendant féminin en Miranda. À la beauferie énergique répond un côté intello neurasthénique. Profils différents, sentiment d'échec identique. Voilà ce qui unit les deux personnages de façon pathétique. L'ironie mordante et le ton sarcastique de Solondz attaquent aussi la génération d'avant, en décapant le vernis d'une middle class matérialiste et médiocre. Bref, l'american way of life en prend un sacré coup. L'approche subversive du réalisateur, son acuité en matière sociale et psychologique, ainsi que son sens du détail qui tue (décors, costumes, BO) sont toujours aussi jubilatoires et convaincants. Moins convaincant est en revanche son parti pris final de basculer entre rêve et réalité. À petite dose ok, mais il charge un peu la barque ici, jusqu'à une certaine confusion, au point que l'on se demande si l'impact du propos n'aurait pas été plus fort en restant plus ancré dans la réalité. Ces variations imaginaires n'en demeurent pas moins inventives. Et l'ensemble dégage un parfum vraiment singulier, entre drôlerie, amertume et cynisme.