Preuve si nécessaire que le septième art demeure un art de résistance, éclairant des horizons éloignés ou inconnus, capable paradoxalement du meilleur lorsqu’il se crée dans l’urgence, l’absence de moyens et peut-être la peur, comme si ces conditions à priori néfastes ou peu propices à la création sereine devenaient le terreau de l’imagination et de la débrouillardise. Les jurés d’Un Certain Regard ne s’y sont pas trompés en récompensant Au revoir du Prix de la Mise en scène, auquel nous aurions volontiers adjoint celui de la meilleure interprète pour la grande Leyla Zareh.
La comédienne y interprète Noura, une avocate, à qui a été retirée sa licence d’exercer, enceinte de quelques mois de son mari journaliste réfugié dans la clandestinité. Étrangère dans son propre pays, sans emploi, esseulée et traquée, elle décide de quitter Téhéran. En longs plans fixes, souvent tournés dans la pénombre et généralement en intérieur, le réalisateur de La Vie sur l’eau ambitionne de peindre l’existence compliquée de Noura, qui doit sans cesse affronter les tracasseries administratives (obtention d’un visa, validation du passeport de son mari, récupération d’une caution,…). Son quotidien se résume à des heures d’attente et de tractations se concluant par le versement de pots-de-vin et la promesse d’aide. Se défendant d’inscrire son travail dans le champ purement politique – une lecture, d’après lui, restrictive provenant de l’intolérance et de la précipitation des autorités du pays à l’interdire ou le stigmatiser – Mohammad Rasoulof se penche avant tout sur les problématiques complexes que doivent affronter ses compatriotes, et en tout premier lieu les femmes. Un geste apparemment banal, consistant à enlever le vernis à ongles avant un rendez-vous important, mais geste accompli par Noura au centre d’une rame de métro, ce qui du coup le transforme en attitude quasi révolutionnaire, suffit néanmoins à l’état schizophrène du pays, ne parvenant plus, ou de moins en moins, à contenir et résoudre le décalage qui s’opère entre le style de vie des Iraniens et la coercition imposée par le législateur. Où l’on voit que la femme ne peut rien faire sans l’accord de son mari, d’un simple examen médical à la réservation d’une nuit d’hôtel.
Réalisé avec très peu de moyens humains et techniques, Au revoir ne paraît pourtant pas souffrir à l’écran de cette économie de moyens et des conditions drastiques de son tournage. Au contraire, la beauté des plans – celui, probablement le plus long, de la fouille de l’appartement est grandiose – subjugue par leur précision et leur préparation. Tout ici est pensé et réfléchi, participant à l’atmosphère claustrophobe et oppressante qui entoure, isole et enferme l’héroïne, qui semble accepter les événements avec un fatalisme las, servant juste à dissimuler la détermination de la jeune femme qui condense en quelques mots son projet : « Quitte à se sentir étrangère, autant l’être à l’étranger ». Extrêmement austère et glaçant, Au revoir est une œuvre forte et radicale, en tous points cohérente.