Bien qu'on en puisse éprouver un sentiment mitigé, ce lent puzzle éclaté finit par rassembler ses morceaux. Son propos vise à faire ressentir à quel point un drame peut naître d'un simple concours de circonstances tout à fait banales, cependant issues de conflits non résolus. L'acteur et producteur varois Jean-Jacques Jauffret nous dédie son premier long-métrage à Cyril Collard, qu'il connut avec Les Nuits Fauves. Il nous offre un film choral de style naturaliste situé en banlieue marseillaise, centré autour de quatre personnages entremêlés, sur un scénario découpé au scalpel. Le tout début du film s'avère aussi en être, ironiquement, la presque fin, encadrant l'histoire à la façon d'une tragégie théâtrale qui se déroule en moins de vingt-quatre heures. Si, comme l'écrivent Les Inrocks et Chronic'art, le découpage semble un peu trop mécanique, reprenant certaines scènes pour les faire voir sous un autre angle tout en les prolongeant, malgré la froideur distancée qu'il implique, ce choix conserve son intérêt grâce à une maîtrise absolument juste du montage. Au-delà, malgré la réussite de l'attachement au personnage d'Amélie (Adèle Haenel), jeune caissière accablée et un peu paumée (plongée dans le doute de son avenir), force est de constater que le concept filmique reste pesant et qu'il gènère un certain malaise. Le personnage de la mère obèse (Sylvie Lachat, crédible) n'a somme toute que peu de lien avec l'ensemble sinon pour évoquer la figure de la mère nourricière. Jean-Jacques Jauffret, ancien obèse (qui a fait condamner Air France pour lui avoir fait payer deux places d'avion au lieu d'une), y exprime aussi son amertume et son refus du corps normatif (au risque d'en mourir!). Quant au triste personnage du vieux solitaire reclus et toqué, il incarne ce racisme latent de régions du Sud en proie au marasme socio-économique. De soleil et d'ombres, le drame choral lorgne sur du Pasolini, sans en être parcouru par la grâce. Lent, de faible densité, divisé en allers-retours démonstratifs, souvent mutique, quelquefois ennuyeux (mais nécessaire à l'aspect clinique), APRES LE SUD marque pourtant, car sa tension naît de l'apparente banalité des plans-séquences étirés. Il nous interroge sur ce que chacun "a vraiment dans le ventre", ce siège du deuxième cerveau dont l'expression, trop longtemps refoulée, peut, en certaines circonstances, nous dépasser. On peut bien courir "après le Sud", après un bonheur illusoire, aucun des protagonistes ne parvient à échapper à l'accablement qui l'opprime. Cette pesanteur étouffante, parce qu'elle a trop longtemps été masquée par le mutisme, l'hypocrisie ou la tromperie, ne peut au final qu'éclater au grand jour. Mais le poids de l'amour se heurte à celui de la haine. Le fautif se porte en victime et l'on porte faute à la victime: absurde tragédie (inspirée d'un fait réel) qui évoque un Sud que l'on préférerait ne pas voir, mais que le film nous impose.