C'est le néant causé par la seconde guerre mondiale qui est la toile de fond de Tatsumi. Un Japon dévasté et humilié devient le cadre d'un film à sketchs à l'humour noir et au caractère très pessimiste, que l'esthétique visuelle sombre et dérangée incarne à la perfection. Mais réduire Tatsumi à cette immersion dans une société réduite en cendres, avec les spectres d'Hiroshima et de Nagasaki omniprésent, serait réduire le film à une seule de ses caractéristiques. Puisque l'histoire s'attache aussi à représenter – par segments – la vie de Tatsumi, célèbre créateur de manga qui a révolutionné le genre au cours de la deuxième moitié du XXème siècle, et donc à faire un parallèle entre le néant et la création ; pour voir comment le premier peut engendrer le second.
Ce film a été une vraie surprise pour moi, tout simplement parce que je n'avais jamais rien vu de tel. Mon manque de culture concernant le cinéma d'animation asiatique et l'univers des mangas m'a au moins permis une chose : celle de prendre une véritable claque avec ce Tatsumi. La maturité qui se dégage des diverses séquences est saisissante. Il y a une force profonde dans les personnages qui marque les esprits ; cette même déchéance, cette incapacité à trouver leur place dans une société bancale, et cette sensation de solitude qui les habite continuellement. C'est la lassitude d'un quotidien meurtri qui les travaille du matin au soir, sans lâcher sa pression à un seul instant.
Il y a un rapport à la sexualité et à la mort très présent, les deux étant perçus d'un point de vue masculin (tous les personnages sont des hommes) et c'est donc la faiblesse masculine qui devient le symbole même du film. Une faiblesse physique d'abord, entre handicap, vieillesse, impuissance, et une faiblesse mentale qui en découle avec la sensation de devenir inutile, de n'être qu'un déchet de la société : il y a une forme d'errance sans but qui se caractérise de leurs déplacements, comme s'il marchait au sein d'une cité détruite, où chaque regard se porte sur une image toujours plus désagréable, qui n'est qu'un reflet de leur propre image.
Parfois drôle, parfois violent, souvent déprimant, Tatsumi garde un ton uniforme malgré ses diverses histoires et rend à son propos un caractère réaliste, comme un regard posé sur un pays en ruines qui essaie de se reconstruire. Les séquences sont orchestrées avec beaucoup de finesse pour ne pas dérouter le spectateur ou lui faire perdre le fil, c'est ainsi que l'on prend plaisir à retrouver l'évolution du parcours de Tatsumi (qui est un peu aux antipodes du reste, l'ascension vers les sommets contrastant avec la descente aux enfers ambiante) qui apporte cette fraîcheur nécessaire pour ne pas sombrer émotionnellement dans toutes ces petites histoires aussi tragiques les unes que les autres. La dimension artistique est réussie en tout point, de l'écriture au rendu visuel, et alors que le film se termine, nous avons clairement l'impression d'avoir parcouru les âges et les visages du Japon, et le pessimisme rejoint la nostalgie, dans une forme d'apaisement, lorsque Tatsumi se dévoile sous ses véritables traits, accomplissant les siens sur une feuille blanche, bientôt noircie par l'image d'un pays.